L'¨¦tat de droit et la r¨¦forme institutionnelle ne peuvent ¨ºtre introduits en faisant table rase du pass¨¦. Pour mettre en place des processus de transformation efficaces, il est imp¨¦ratif de comprendre les violations des droits de l'homme pass¨¦es et de mettre fin ¨¤ l'impunit¨¦ pour les violations les plus graves. Trois droits indispensables et interd¨¦pendants sont au centre de tout effort visant ¨¤ ¨¦tablir la responsabilit¨¦ : le droit ¨¤ la v¨¦rit¨¦, le droit ¨¤ la justice, le droit ¨¤ un recours utile et ¨¤ une r¨¦paration. Afin de mettre en oeuvre ces droits, il faut mettre en place une strat¨¦gie globale qui inclue les gouvernements et la soci¨¦t¨¦ civile et examine les lacunes dans les domaines des connaissances, des capacit¨¦s et de l'engagement politique.
Le g¨¦nocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanit¨¦ et autres violations flagrantes des droits de l'homme sapent le tissu des soci¨¦t¨¦s. Ils d¨¦stabilisent les ?tats et des r¨¦gions enti¨¨res et menacent la paix et la s¨¦curit¨¦ internationales. Apr¨¨s la survenue de ces ¨¦v¨¦nements, il est essentiel d'¨¦tablir la v¨¦rit¨¦ sur les crimes internationaux et les violations flagrantes qui ont eu lieu. Conna¨ªtre l'histoire de son oppression fait partie du patrimoine d'un peuple. Conna¨ªtre la v¨¦rit¨¦ permet aux victimes et aux proches de tourner la page et de restaurer une mesure de dignit¨¦.
La justice et la v¨¦rit¨¦ vont de pair. Rendre compte des crimes et des violations flagrantes, y compris r¨¦tablir la confiance des populations dans la justice et les institutions du secteur de la s¨¦curit¨¦, est essentiel pour r¨¦instaurer l'¨¦tat de droit et une paix durable. Parall¨¨lement, nous devons pr¨ºter une plus grande attention aux victimes. Chacun est conscient du prix physique, psychologique et mat¨¦riel que paient les victimes d'un conflit arm¨¦. Or, les efforts pour mettre fin ¨¤ l'impunit¨¦ n'ont, malheureusement, pas ¨¦t¨¦ accompagn¨¦s d'efforts aussi importants pour faire face ¨¤ la situation critique des victimes. Il est urgent de corriger ce d¨¦s¨¦quilibre afin que les victimes puissent obtenir une voie de recours et une r¨¦paration pour le pr¨¦judice qu'elles ont subi.
CR?ER UNE BASE DE CONNAISSANCES POUR RENDRE COMPTE DES VIOLATIONS
Aujourd'hui, aucun ?tat ne peut l¨¦gitimement ignorer l'ampleur et les causes des violations flagrantes commises sur son sol. Cela s'applique m¨ºme si ses propres institutions ne rel¨¨vent, comme elles le devraient, aucune violation de ce type. Toutes les violations flagrantes sont pratiquement document¨¦es par le syst¨¨me universel des m¨¦canismes des droits de l'homme ind¨¦pendants compos¨¦s des organes conventionnels des Nations Unies, des Proc¨¦dures sp¨¦ciales du Conseil des droits de l'homme, des Commissions d'enqu¨ºte ¨¦tablies sur un base ad hoc, par mon Bureau (le Haut Commissariat aux droits de l'homme) et ainsi que par nos 58 pr¨¦sences sur le terrain consacr¨¦es aux droits de l'homme ¨¤ travers le monde.Les m¨¦canismes r¨¦gionaux des droits de l'homme, ainsi que les organisations internationales et non gouvernementales, jouent ¨¦galement un r?le important en portant ¨¤ l'attention des ?tats les d¨¦fis en mati¨¨re de droits de l'homme.
Les efforts visant ¨¤ enregistrer les violations flagrantes sont de plus en plus ing¨¦nieux et globaux. La Commission d'enqu¨ºte sur la Syrie, mandat¨¦e par le Conseil des droits de l'homme, travaille depuis plus d'un an. En se fondant sur des centaines d'entretiens ainsi que sur des preuves, elle a mis en ¨¦vidence l'implication vraisemblable d'un certain nombre de hauts responsables gouvernementaux et de dirigeants militaires dans des crimes internationaux. ? la lumi¨¨re du legs d'atrocit¨¦s commises en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (RDC), par exemple, le Haut Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) a r¨¦alis¨¦ une cartographie des violations des droits de l'homme et du droit humanitaire les plus graves qui ont eu lieu entre mars 1993 et juin 2003.
M¨ºme lorsque les violations flagrantes sont fond¨¦es sur des preuves, les ?tats demandent souvent une assistance technique pour d¨¦terminer les lois, les r¨¨gles et les politiques qui sont les plus appropri¨¦s pour y rem¨¦dier. Toutefois, alors que les d¨¦cideurs peuvent b¨¦n¨¦ficier de ces conseils, des connaissances des exp¨¦riences comparatives et des le?ons tir¨¦es ailleurs, l'exp¨¦rience montre que les personnes concern¨¦es doivent s'approprier les efforts de responsabilisation ¨¤ l'¨¦chelle nationale pour qu'ils soient durables.
Cela est particuli¨¨rement important dans le domaine de la justice transitionnelle. Il faut donner aux personnes qui ont ¨¦t¨¦ victimes de violations des droits de l'homme ou qui ont ¨¦t¨¦ affect¨¦es par un conflit les moyens de prendre des d¨¦cisions ¨¦clair¨¦es pour qu'elles puissent exercer leurs droits et obtenir r¨¦paration. Un processus de consultations nationales m?rement r¨¦fl¨¦chi peut ¨ºtre le moyen le plus efficace pour aider les populations ¨¤ faire des choix en connaissance de cause et assurer l'appropriation nationale des m¨¦canismes de justice transitionnelle. Ce processus est difficile et long. Apr¨¨s les premi¨¨res ¨¦lections d¨¦mocratiques en 1994 en Afrique du Sud, dont je suis originaire, il a fallu 18 mois d'activit¨¦s pr¨¦paratoires pour ¨¦tablir la Commission V¨¦rit¨¦ et r¨¦conciliation pr¨¦sid¨¦e par l'ev¨ºque Desmond Tutu. Cette longue p¨¦riode a permis un vaste d¨¦bat au Parlement et dans la soci¨¦t¨¦ sud-africaine sur l'¨¦tendue des pouvoirs de la Commission et a jet¨¦ les bases de sa l¨¦gitimit¨¦.
S'appuyant aussi sur l'exp¨¦rience sud-africaine, le HCDH et nos pr¨¦sences sur le terrain fournissent r¨¦guli¨¨rement des conseils et un soutien mat¨¦riel aux consultations nationales men¨¦es par les gouvernements, les parties aux accords de paix, les institutions nationales des droits de l'homme et la soci¨¦t¨¦ civile. Parmi les exemples r¨¦cents de consultations nationales soutenues par le HCDH figurent le Togo, le Burundi et la Tunisie. Lorsque nous pr¨ºtons assistance, nous mettons l'accent sur la participation des victimes, y compris des femmes et des enfants, sur le renforcement des capacit¨¦s et sur la mobilisation des ressources financi¨¨res et mat¨¦rielles.
Nous avons ¨¦galement mis au point une s¨¦rie d'outils de politique couvrant diff¨¦rents aspects de la justice transitionnelle, comme les poursuites, la mise ¨¤ jour de la v¨¦rit¨¦, la v¨¦rification, la cartographie et le suivi du syst¨¨me de justice, les programmes de r¨¦paration et les consultations nationales. La s¨¦rie compl¨¨te des Outils d'¨¦tat de droit du HCR est disponible ¨¤ .
RENFORCEMENT DES CAPACIT?S
Les connaissances doivent ¨ºtre associ¨¦es aux capacit¨¦s de mise en oeuvre. L'exp¨¦rience montre que le manque de capacit¨¦s au sein des institutions nationales est souvent un facteur essentiel qui perp¨¦tue l'impunit¨¦ des auteurs des crimes internationaux et des violations flagrantes des droits de l'homme.
Il est crucial que les ?tats d¨¦veloppent ou renforcent leurs propres capacit¨¦s d'enqu¨ºter sur ces violations et d'engager des poursuites. Dans de nombreux cas, il s'agit d'¨¦tablir de nouvelles institutions sp¨¦cialis¨¦es pour traiter les crimes internationaux et les violations flagrantes des droits de l'homme. Ce n'est pas un luxe, mais une obligation. Tout ?tat qui se rend compte que des violations ou des crimes ont pu ¨ºtre commis sur son territoire ou dans un autre lieu plac¨¦ sous sa juridiction doit r¨¦unir les ressources n¨¦cessaires pour mener ¨¤ bien les poursuites tant en garantissant l'ind¨¦pendance de la justice, des poursuites et des enqu¨ºtes. Les ?tats doivent aussi ¨¦liminer tout obstacle pouvant entraver les poursuites des responsables de crimes internationaux ou de violations flagrantes des droits de l'homme, en particulier, les obstacles juridiques comme l'amnistie ou les d¨¦lais de prescription.
L'ONU a mis en place des m¨¦canismes innovants pour aider les autorit¨¦s ¨¤ enqu¨ºter, ¨¤ poursuivre et ¨¤ juger les auteurs pr¨¦sum¨¦s de ces crimes et violations en formant, par exemple, des unit¨¦s de police sp¨¦ciales pour enqu¨ºter sur les cas de violence sexuelle et sexiste. En R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo, l'ONU a cr¨¦¨¦ des cellules d'appui aux poursuites judiciaires qui travaillent avec les procureurs congolais dans des affaires li¨¦es aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanit¨¦.
Un seul auteur de crimes internationaux fait g¨¦n¨¦ralement des dizaines, des centaines, voire des milliers de victimes. Or, on s'est peu interrog¨¦ sur la place accord¨¦e aux droits de ces victimes dans le syst¨¨me de responsabilit¨¦ pour les crimes internationaux et de violations flagrantes des droits de l'homme. Dans la conception et la mise en oeuvre des processus de responsabilit¨¦, il est important d'accorder une place de premier plan et un statut sp¨¦cial aux victimes. Le Haut Commissariat peut fournir des conseils et une assistance technique en mettant en place des proc¨¦dures adapt¨¦es aux besoins des victimes qui garantissent leur s¨¦curit¨¦ et leur dignit¨¦ et doit d¨¦velopper des programmes sp¨¦cifiques pour aider, soutenir et prot¨¦ger les victimes et les t¨¦moins.
Aujourd'hui, un nombre croissant d'?tats cr¨¦ent des commissions nationales d'enqu¨ºte pour examiner les violations des droits de l'homme graves. Certaines s'efforcent v¨¦ritablement de briser l'h¨¦ritage du pass¨¦, tandis que d'autres servent principalement ¨¤ d¨¦tourner l'attention de la communaut¨¦ internationale. Le HCDH a cherch¨¦ ¨¤ savoir ce qui d¨¦termine la r¨¦ussite d'une commission d'enqu¨ºte nationale. Notre ¨¦tude a conclu que la responsabilisation ne sera v¨¦ritable que si les m¨¦canismes d'enqu¨ºte nationaux sont cr¨¦dibles, ind¨¦pendants, impartiaux et transparents. Ces commissions nationales doivent avoir acc¨¨s ¨¤ toutes les autorit¨¦s, ¨¤ toutes les personnes, ¨¤ tous les lieux ainsi qu'¨¤ toutes les informations pertinentes et doivent disposer de ressources financi¨¨res et humaines suffisantes. Elles doivent aussi pouvoir rendre leurs r¨¦sultats publics. Lors des enqu¨ºtes judiciaires et des poursuites p¨¦nales, il est essentiel de mettre en place un programme de protection des t¨¦moins et, si n¨¦cessaire, d'inclure une assistance internationale afin de mettre les t¨¦moins ¨¤ l'abri.
ENGAGEMENT POLITIQUE
Les capacit¨¦s et les connaissances seules ne suffisent pas lorsqu'un gouvernement ne d¨¦montre pas l'engagement politique de tenir pour responsables les auteurs de crimes internationaux et d'autres violations flagrantes des droits de l'homme. Apr¨¨s que des crimes internationaux et des violations des droits de l'homme ont ¨¦t¨¦ commis, la situation politique est instable, ce qui est souvent un facteur de risques politiques et m¨ºme physiques pour ceux qui veulent que la justice soit rendue. Il est donc important que la communaut¨¦ internationale appuie sans ¨¦quivoque les efforts de responsabilisation ¨¤ l'¨¦chelle nationale.
Toutefois, lorsque les autorit¨¦s nationales se soustraient ¨¤ leur obligation de punir les responsables de crimes internationaux et autres violations flagrantes des droits de l'homme, les tribunaux p¨¦naux internationaux et hybrides, ainsi que les tribunaux ¨¦trangers qui appliquent le principe de juridiction universelle pour les crimes internationaux, ont jou¨¦ un r?le important pour combler les lacunes. Les commissions d'enqu¨ºte internationales et les missions d'¨¦tablissement des faits sont aussi de plus en plus vues comme des outils efficaces pour mettre au jour les faits n¨¦cessaires aux m¨¦canismes de responsabilit¨¦ et de justice transitionnelle ¨¦tablis ¨¤ une plus vaste ¨¦chelle.
Lorsque les ?tats refusent ou ne sont pas en mesure de traiter les crimes internationaux commis dans leur juridiction, la Cour p¨¦nale internationale (CPI) est bien plac¨¦e pour jouer un r?le compl¨¦mentaire. Lorsque l'?tat concern¨¦ n'a pas encore ratifi¨¦ le Statut de Rome, j'ai demand¨¦ ¨¤ maintes reprises au Conseil de s¨¦curit¨¦ d'utiliser son pouvoir pour d¨¦f¨¦rer les situations les plus graves (comme la situation actuelle en Syrie) ¨¤ la CPI.
MONTRER L'EXEMPLE
Des insuffisances en mati¨¨re de connaissances, de capacit¨¦s et d'engagement peuvent aussi avoir lieu au niveau international. L'ONU doit montrer l'exemple lorsqu'il s'agit d'assurer le respect du principe de responsabilit¨¦. ? cet ¨¦gard, nous avons fait des progr¨¨s dans l'¨¦laboration d'une strat¨¦gie globale des Nations Unies visant ¨¤ ¨¦liminer l'exploitation sexuelle et les abus sexuels des agents des op¨¦rations de maintien de la paix et devons maintenant mettre la strat¨¦gie en oeuvre avec diligence.
L'appui fourni par l'ONU ¨¤ des forces de s¨¦curit¨¦ ne lui appartenant pas doit aussi ¨ºtre ancr¨¦ sur le respect des droits de l'homme et du droit humanitaire international afin d'¨¦viter de se rendre complice de ces violations. S'appuyant sur notre exp¨¦rience en RDC, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ban Ki-moon a montr¨¦ la voie et mis en place la Politique imposant un devoir en mati¨¨re de droits de l'homme qui engage l'ONU ¨¤ ne pas fournir son appui aux forces de s¨¦curit¨¦ qui commettent des violations flagrantes des droits de l'homme ou qui ne font pas face ¨¤ ces violations, aux violations du droit humanitaire international ou ¨¤ celles du droit des r¨¦fugi¨¦s. J'appuie fermement cette politique et le Haut Commissariat s'engage ¨¤ aider nos partenaires de l'ONU pour l'appliquer. J'appuie aussi les efforts en cours visant ¨¤ assurer que l'inscription et la radiation de personnes, dans le contexte des sanctions individualis¨¦es impos¨¦s par le Conseil de s¨¦curit¨¦, font l'objet de proc¨¦dures efficaces, claires et justes.
L'obligation de rendre compte des crimes internationaux et des violations flagrantes des droits de l'homme constitue un pilier central de l'ordre du jour contemporain des droits de l'homme. Aujourd'hui, la question n'est plus de traduire les coupables en justice, mais de d¨¦terminer quand et comment y parvenir le mieux possible.