? la fin de septembre 2009, deux ¨¦v¨¦nements diam¨¦tralement oppos¨¦s ont co?ncid¨¦ : le 30 septembre, la Secr¨¦taire d'?tat des ?tats-Unis Hillary Clinton a introduit la r¨¦solution 1888 au Conseil de s¨¦curit¨¦ des Nations Unies qui, comme la r¨¦solution 1820, adopt¨¦e l'ann¨¦e derni¨¨re, condamne la violence sexuelle en p¨¦riode de conflit et vise ¨¤ doter l'ONU de mesures pour pr¨¦venir ces actes de violence et combattre l'impunit¨¦. Deux jours avant, un rassemblement pacifique de l'opposition organis¨¦ ¨¤ Conakry, en Guin¨¦e, pour acc¨¦l¨¦rer le calendrier ¨¦lectoral a ¨¦t¨¦ violemment r¨¦prim¨¦ dans le stade de la capitale. Selon une Commission d'enqu¨ºte internationale, 156 personnes ont ¨¦t¨¦ tu¨¦es ou ont disparu. Un aspect frappant de cette agression est l'utilisation de la violence sexuelle : selon des fuites concernant le rapport de la Commission, au moins 109 femmes ont ¨¦t¨¦ viol¨¦es, certaines en public dans le stade et certains viols ont ¨¦t¨¦ photographi¨¦s ¨¤ l'aide de t¨¦l¨¦phones portables pour pouvoir faire circuler les photos et alerter l'opinion publique. Le 30 septembre, dans son intervention prononc¨¦e devant le Conseil de s¨¦curit¨¦, le Repr¨¦sentant permanent de la France aupr¨¨s des Nations Unies, G¨¦rard Araud, a ¨¦voqu¨¦ la violence sexuelle ¨¤ Conakry en se r¨¦f¨¦rant ¨¤ la r¨¦solution 1888.

L'ONU op¨¨re un changement de paradigme dans son approche concernant la protection des civils. Il est de plus en plus clair que les bellig¨¦rants visent d¨¦lib¨¦r¨¦ment les citoyens. Un retard important existe toutefois entre la mise en application d'une politique progressive et un changement notable dans le comportement des groupes arm¨¦s. Il est urgent d'acc¨¦l¨¦rer l'application des mesures ¨¦nonc¨¦es dans les r¨¦solutions 1829 et 1888. Les incidents en Guin¨¦e et les nombreux cas de viol en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo et ailleurs montrent que la violence sexuelle fait d¨¦sormais partie int¨¦grante des conflits et de la coercition.

La violence sexuelle dans les conflits n'est pas un ph¨¦nom¨¨ne nouveau. Elle est depuis longtemps consid¨¦r¨¦e comme un d¨¦riv¨¦ de la guerre in¨¦vitable, bien que regrettable, une forme de dommages collat¨¦raux sur lesquels les chefs militaires n'ont aucun contr?le. Mais, comme les autres abus commis sur les civils, elle n'est pas in¨¦vitable. N'importe quelle structure de commandement qui peut organiser une attaque ou punir des d¨¦serteurs peut mettre en place une action disciplinaire pour punir les auteurs de viol et exercer ainsi un effet de dissuasion. Au-del¨¤ de l'¨¦chec ¨¤ pr¨¦venir les actes de violence sexuelle, il ressort que dans de nombreux conflits du si¨¨cle dernier, la violence sexuelle a ¨¦t¨¦ orchestr¨¦e par des dirigeants politiques et militaires. Dans certains cas, comme dans les camps de viol bosniaques ou les viols ciblant un groupe ethnique au Rwanda, la violence sexuelle a ¨¦t¨¦ orchestr¨¦e aux niveaux politiques les plus ¨¦lev¨¦s.

La violence sexuelle pendant un conflit s'est av¨¦r¨¦e tr¨¨s efficace pour d¨¦stabiliser l'ennemi, en particulier lorsque les femmes sont viol¨¦es publiquement ou que les proches de la victime sont forc¨¦s d'y participer. La violence sexuelle g¨¦n¨¦ralis¨¦e et syst¨¦matique est ¨¦galement un obstacle au rel¨¨vement apr¨¨s un conflit et ce, de trois fa?ons : premi¨¨rement, elle nuit ¨¤ la stabilit¨¦ sociale en d¨¦truisant les familles et les communaut¨¦s; deuxi¨¨mement, la peur des s¨¦vices sexuels r¨¦duit la mobilit¨¦ des femmes, ce qui les ¨¦carte de l'activit¨¦ ¨¦conomique et emp¨ºche les filles d'aller ¨¤ l'¨¦cole; et troisi¨¨mement, l'impunit¨¦ des auteurs de violence sexuelle sape les efforts men¨¦s pour instaurer la confiance dans l'aptitude de l'?tat ¨¤ prot¨¦ger ses citoyens et ¨¤ instaurer l'¨¦tat de droit.

Les r¨¦solutions 1829 et 1888 repr¨¦sentent l'engagement de l'ONU ¨¤ traiter ces questions. La r¨¦solution 1820 appelle les parties au conflit arm¨¦, y compris les acteurs non ¨¦tatiques, ¨¤ prot¨¦ger les civils contre toutes formes de violence sexuelle, ¨¤ imposer des sanctions disciplinaires, ¨¤ observer le principe de responsabilit¨¦ du sup¨¦rieur hi¨¦rarchique et ¨¤ poursuivre les auteurs de ces actes. Elle appelle les d¨¦partements de l'ONU et ses institutions sp¨¦cialis¨¦es ¨¤ assurer la sensibilisation et la formation des forces du maintien de la paix ¨¤ la protection des civils contre les actes de violence sexuelle et la Commission de consolidation de l'ONU ¨¤ pr¨¦senter une analyse de l'incidence de la violence sexuelle en p¨¦riode de conflit sur le rel¨¨vement pr¨¦coce et la consolidation de la paix ¨¤ long terme. La r¨¦solution 1820 demande aussi au Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de pr¨¦senter un rapport qui d¨¦finit les grandes lignes d'un plan d'action pour faire face ¨¤ la violence sexuelle de mani¨¨re int¨¦gr¨¦e et syst¨¦matique dans l'ensemble du syst¨¨me de l'ONU. Rendu public en juillet 2009, le rapport indique la n¨¦cessit¨¦ d'engager la responsabilit¨¦ des dirigeants et des responsables de haut rang, de renforcer la coordination et la responsabilit¨¦. Cela a abouti ¨¤ la r¨¦solution 1888, qui demande la nomination d'un Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, la cr¨¦ation d'une ¨¦quipe d'experts judiciaires pour aider les pays qui sortent d'un conflit ¨¤ pr¨¦venir l'impunit¨¦, la nomination de conseillers pour la protection des femmes dans les op¨¦rations de maintien de la paix de l'ONU, des propositions pour mettre en place un m¨¦canisme de surveillance et de communication et la soumission d'un rapport annuel qui fournirait des renseignements cr¨¦dibles au sujet des parties soup?onn¨¦es de se livrer ¨¤ des actes de violence sexuelle.

Une fois que la r¨¦solution 1888 sera appliqu¨¦e, le syst¨¨me de l'ONU se sera dot¨¦ d'un arsenal de mesures pour combattre la violence sexuelle. Ensemble, les r¨¦solutions 1820 et 1888 devraient renforcer la formation et l'aptitude des soldats du maintien de la paix ¨¤ pr¨¦venir la violence sexuelle. La r¨¦solution 1889, adopt¨¦e quelques jours apr¨¨s la r¨¦solution 1888, demande au Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral d'¨¦laborer une strat¨¦gie ou d'augmenter la proportion de femmes affect¨¦es aux missions de maintien de la paix. La r¨¦solution 1888 vise ¨¤ sanctionner les auteurs de ces actes. Les r¨¦solutions 1829 et 1888 appellent le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral ¨¤ inclure cette question dans ses dialogues avec les parties au conflit arm¨¦ et que cette question soit examin¨¦e lors des n¨¦gociations de paix.

D'apr¨¨s une ¨¦tude r¨¦cente du Fonds de d¨¦veloppement des Nations Unies pour la femme, sur plus de 300 accords de paix sign¨¦s depuis 1998, allant des accords de cessez-le-feu aux accords sp¨¦cifiques sur la justice, la r¨¦paration, le partage de la richesse et du pouvoir, seuls 18 mentionnent la violence sexiste. Elle ne figure m¨ºme pas dans les situations o¨´ elle fait partie int¨¦grante des combats, comme en Bosnie, en Sierra Leone ou au Liberia. Cela peut avoir des cons¨¦quences d¨¦vastatrices pour la paix. En juin 2009, lors d'une r¨¦union ¨¤ New York sur les pourparlers de paix et la violence sexuelle organis¨¦e par la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit, l'ancien Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral adjoint aux affaires humanitaires Jan Egeland, a dit : ? Si la violence sexuelle n'est pas abord¨¦e de front lors des accords de cessez-le-feu et de paix, les femmes ne conna¨ªtront jamais la paix. ?

Les violences sexuelles ¨¤ grande ¨¦chelle qui ont eu lieu en Guin¨¦e en septembre 2009, au moment o¨´ la r¨¦solution 1888 ¨¦tait adopt¨¦e, ont fait la une des journaux dans le monde. Ni l'opinion publique mondiale ni les gardiens de la paix et de la s¨¦curit¨¦ internationales ne continueront d'ignorer cette question, en particulier apr¨¨s que la Commission d'enqu¨ºte s'est pench¨¦e sur ce crime. Les r¨¦solutions 1888, 1820 et 1325 sur les femmes, la paix et la s¨¦curit¨¦, ainsi que la r¨¦solution 1889 qui traite de la consolidation de la paix, indiquent clairement les responsabilit¨¦s que les ?tats Membres et les institutions de l'ONU doivent assumer pour r¨¦pondre avec d¨¦termination. Il ne fait plus aucun doute que la violence sexuelle est un instrument de conflit, que sa pr¨¦vention est un ¨¦l¨¦ment essentiel de la consolidation de la paix et que les femmes doivent jouer un r?le de premier plan dans la construction d'une paix durable.