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(Yut-Lin WONG)

Intégration d’un souci de parité entre les sexes dans l’enseignement et la recherche

dans les secteurs de la médecine et de la santé

 

1. Questions fondamentales, points essentiels

 

 J’ai caché les pilules (contraceptives) dans un endroit sûr. Mais un

jour, mon mari les trouva. Il était furieux. Il les jeta et il me battit .

[femme battue dans un refuge, Kuala Lumpur]

 

 C’est très difficile pour moi de prendre la pilule. Mon prêtre m’a

dit que ce n’était pas pour les bons catholiques. Si je la prends, j’aurais honte de le lui dire pendant la Confession .

[femme du Kadazan dans un bidonville urbain, Sabah]

 

 Je ne peux vraiment pas dire ‘non’ à mon mari. Ce que je peux faire, c’est dormir avec mes enfants .

[ouvrière musulmane dans une usine et mère de sept enfants, Penang]

Ces expériences ne sont pas uniques pour les femmes en Malaisie. En fait, elles démontrent que la femme n’a aucun contrôle général de sa sexualité et de sa santé génésique aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés. Ces besoins existent malgré l’existence de prestations sanitaires, de la technologie médicale moderne et de l’amélioration générale en termes de statistiques de la morbidité et de la mortalité maternelle, avec cependant des disparités considérables entre les pays développés et les pays du tiers-monde et à l’intérieur de ces pays.

En fait, l’absence de contrôle des femmes de leur corps, les disparités en termes de santé entre les hommes et les femmes et le traitement inégal de la femme dans le cadre des prestations sanitaires, de l’enseignement et de la recherche en médecine, constituent des préoccupations primordiales en termes de santé et de la femme, qu’il convient d’examiner et de changer de toute urgence, systématiquement et à l’échelle mondiale. Ceci nous permettra de mettre en application les engagements envers la santé et la femme du Plan d’action du Caire (1994) et du Programme d’action de

Beijing (1995). La question essentielle pour nous qui sommes réunis ici aujourd’hui à cette conférence sur la santé et la femme consiste à nous demander s’il est possible d’examiner les préoccupations et les besoins de la femme en termes de santé en suivant les pratiques, l’enseignement, la recherche et les politiques biomédicales habituelles.

Les expériences et les réalités de la femme, dont une partie a été exprimée par les femmes malaises ci-dessus, démontrent clairement le contraire. En fait, dans la majorité des questions en matière de médecine, de santé et de prévention, relatives à la santé de la femme, les rapports de force entre les hommes et les femmes constituent le problème essentiel et non simplement l’absence de prestations sanitaires, de technologie et/ou d’informations médicales [E. Fee & N. Krieger, 1994].

Par conséquent, il convient de toute urgence d’analyser la santé en termes de sexospécificités, ce qui amène à une étude systématique de la façon dont les maladies affectent différemment les hommes et les femmes et pour quelles raisons. Cette analyse devra prendre en compte la façon dont les facteurs de classe sociale, de race, d’instruction et les autres facteurs socioculturels interagissent en termes de sexe créant des disparités entre la santé des hommes et celle des femmes. L’analyse des sexospécificités est essentielle en vue de faire la distinction entre les causes biologiques et les explications sociales de ces disparités en termes de santé entre les hommes et les femmes et de comprendre que ces inégalités sont le résultat des relations inégales entre les hommes et les femmes et non simplement des conséquences biologiques. L’analyse de ces disparités entre les sexes permettra d’obtenir des informations précises relatives au diagnostic, au traitement et à la prévention. Parallèlement, elle permettra de transformer le préjugé biomédical et sexiste qui fait actuellement partie intégrante de l’enseignement et de la recherche dans le secteur de la médecine, en vue de mieux répondre aux besoins de la femme en matière de santé.

2. Les disparités entre les sexes dans le secteur de la santé et le sexisme en médecine

Il semblerait qu’il existe une hiérarchie des maladies, dans laquelle les “ maladies de la femme “ sont considérées comme moins importantes du fait des symptômes diffus dans les différentes parties du corps sans cause connue, par rapport aux “ maladies de l’homme “ qui présentent des symptômes nets et qui sont des maladies des organes vitaux. Par exemple, les maladies fibrosantes et les névroses dépressives sont classées au niveau inférieur de la hiérarchie et ces diagnostics sont plus fréquents chez la femme que chez l’homme. En Norvège, malgré son système national très réputé de sécurité sociale, la femme peut courir le risque d’être moins reconnue, d’obtenir une indemnisation financière inférieure et par conséquent des prestations de qualité inférieure. Les modèles de maladies diffèrent de plusieurs façons entre les hommes et les femmes. Certaines maladies frappent les hommes et les femmes à des âges différents, par exemple les femmes ont tendance à souffrir de maladies cardio-vasculaires plus tard que les hommes ; certaines maladies ont une prévalence plus élevée chez la femme que chez l’homme, par exemple les troubles de la glande thyroïdienne, l’anémie d’origine lupique, les troubles alimentaires et ostéo-musculaires alors que d’autres maladies, notamment l’ostéoporose et les maladies rhumatismales sont plus graves chez la femme que chez l’homme et que certaines maladies ou états n’affectent que la femme, tout particulièrement la dysménorrhée, le cancer du col de l’utérus, les infections dues aux accouchements et aux avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité, l’excision, les infections génitales et les infections urinaires du fait de la mauvaise hygiène sexuelle [Norwegian Board of Health, 1995, E. Royston & S. Armstrong, 1989].

Malgré cela, les besoins de la femme en termes de santé sont souvent considérés comme étant limités uniquement à la reproduction. Les préjugés sexistes se reflètent clairement, à tel point que la santé de la femme, dans le secteur de la médecine, est reléguée à l’obstétrique et à la gynécologie uniquement et dans le secteur de la santé publique, on suppose que les programmes en matière de santé maternelle et infantile pourront répondre à l’ensemble des besoins de la femme en matière de santé. Ceci est dû au fait que la femme est essentiellement perçue comme mère et épouse plutôt que comme un être humain ayant des besoins en matière de santé. Par conséquent, la santé non génésique de la femme est soit invisible soit elle n’est pas prise en compte. Par exemple, malgré le fait que les femmes fassent partie de la population active depuis très longtemps, leur santé professionnelle a souvent été ignorée. Non seulement la santé de la femme est définie par son rôle en matière de reproduction mais elle est souvent mal comprise car on perçoit toujours les femmes comme un groupe homogène. En réalité, la santé ou la maladie de la femme, qu’elle fasse partie du cadre de la reproduction ou non, est vécue différemment en fonction de la classe sociale, de la race/ethnicité, etc. Par exemple, alors que chez la femme âgée, le cancer du sein est plus courant chez les riches, le cancer du col de l’utérus a tendance à affecter davantage les femmes démunies que les femmes riches. Les recherches ont démontré que les femmes noires, à tous les niveaux de revenu, sont plus à même de souffrir d’hypertension que les femmes blanches [N. Krieger & E. Fee, 1994 ; V. Sivanesaratnam & ST. Teoh, 1996]. Un tel modèle social de la maladie indique que d’une façon générale, les questions relatives à la santé de la femme ne peuvent s’expliquer uniquement en fonction du sexe et de la biologie.

Au lieu de cela, Doyal [1994] avance que la santé et la maladie de la femme devraient être comprises dans le contexte de la nature patriarcale et capitaliste de la société - ce qu’elle dénomme l’épidémiologie féministe socialiste. En examinant les principales maladies professionnelles affectant la femme, elle indique la relation entre la socialisation de la femme et le rôle de la femme sur sa santé. La dépression constitue l’une des principales maladies professionnelles chez la femme au foyer du fait que les femmes sont éduquées en vue d’exprimer leurs problèmes sous forme de dépression [L. Doyal, 1994]. Dans le secteur de la santé génésique, tout particulièrement l’utilisation de contraceptifs et le planning familial, les femmes n’ont pas le pouvoir décisionnel leur permettant de négocier en matière de sexe, de procréation et de contraception, du fait que les maris assument l’accès et le contrôle sexuels. Alors qu’un mari peut - et il le fait souvent - refuser l’utilisation de contraceptifs malgré ses exigences sexuelles persistantes, la femme se trouve prise dans son rôle conflictuel de seule responsable du planning familial et en même temps disponible sexuellement à son mari. Dans certains pays en développement, la femme malade a encore besoin du consentement de son mari pour chercher un traitement médical ou des soins de santé. Ou alors, une fois à l’hôpital, la signature de son mari est indispensable à de nombreuses procédures médicales. Ainsi, il apparaît clairement que ce sont le rôle dévolu par la société aux hommes et aux femmes et les rapports de force entre les hommes et les femmes et non la biologie qui sous-tendent la santé et le bien-être de la femme.

3. L’enseignement et la recherche en médecine : les fossés et les parti-pris sexistes

L’enseignement de la médecine

Le paragraphe précédent a permis de démontrer la façon dont la santé et la mauvaise santé de la femme avaient été réduites à leur biologie et la façon dont l’indifférence à l’égard des femmes a pénétré la pratique de la médecine et les prestations sanitaires. Il a été rapporté qu’aux Etats-Unis, ces opinions ont été institutionnalisées dans le secteur de la médecine scientifique et de la nouvelle santé publique au début du XX° siècle. Par conséquent, les opinions fondées sur la biologie en termes de disparités entre les sexes sont depuis devenues naturelles et font partie intégrante du programme d’études et de recherche en matière de pratique médicale et de santé publique [Krieger & Fee, 1994, p.15]. Bien que l’on puisse dire que le Serment d’Hippocrate, avec sa clause explicite de ne pas donner aux femmes de “ pessaire pour provoquer d’avortement “, soit dépassé de façon générale et non réellement proposé comme norme exemplaire à encourager, la Déclaration de Genève amendée de 1983 adoptée par la 35ème Assemblée médicale mondiale, se réfère toujours aux “ collègues comme mes frères “ [British Medical Association, 1988].

Bien que la proportion des étudiantes admises dans les écoles de médecine soit passée d’environ 5% vers le milieu des années 70 à 40% dans les années 90 en Amérique, le programme d’études de médecine, toutefois, n’intègre pas les “ préoccupations des femmes en termes de santé “. De plus, les compétences cliniques et les techniques de cours sont en majorité enseignées par des hommes blancs, sur des hommes blancs et pour des hommes blancs. Les préjugés sexistes sont évidents même dans l’enseignement des sciences de base et des disciplines biomédicales, notamment le corps humain normal et ses fonctions. Par exemple, les cours sur les organes sexuels masculins peuvent durer trois jours mais il n’y en a aucun sur les organes sexuels féminins, du fait que “ l’homme et la femme sont fondamentalement identiques “. Les livres de cours de médecine considèrent encore l’homme comme étant la norme ou le point de référence de tous les cours et considèrent la femme comme l’exception par rapport à l’homme [E. Nechas & D. Foley, 1994, p 41].

L’indifférence à l’égard de la santé de la femme dans le programme d’études de médecine se reflète encore davantage dans l’enseignement des compétences cliniques de base, notamment l’examen physique. Les étudiants en médecine apprennent à examiner l’ensemble du corps, la tête, le cou, la région abdominale, les systèmes cardio-vasculaire et neuromusculaire, à l’exception de la poitrine et du bassin. Par conséquent, les étudiants doivent se résoudre à apprendre ces compétences de base essentielles aux soins de santé de la femme en pratiquant sur de pauvres patientes atteintes de maladies du sein et qui souffrent déjà beaucoup. Ou alors, il a été rapporté que les étudiants avaient appris à examiner le bassin sur des patientes anesthésiées qui étaient opérées [E. Nechas & D. Foley, 1994, p.43]. Ces pratiques de l’enseignement de la médecine ont au minimum deux implications graves nuisibles aux soins de santé de la femme. Lorsque les statistiques révèlent que les cancers du sein et du col de l’utérus sont les principales causes de mortalité chez la femme, ces méthodes d’enseignement de l’examen clinique de la poitrine et du bassin de la femme ne contribueront certainement pas au traitement ou à la prévention de ces principaux responsables de la mort des femmes. L’autre effet plus insidieux à long-terme est que cette habitude d’examiner les femmes qui souffrent est devenue la base de l’apprentissage général des étudiants en médecine, de la santé de la femme en particulier. Ainsi, jusque très récemment, chaque fois que l’enseignement est pratiqué, l’enseignement aux étudiants en médecine sur la façon de réaliser un examen de la poitrine et interne compétent, rationnel et sans douleur n’a jamais fait partie intégrante de la pratique de l’enseignement médical. Ceci explique pourquoi les femmes s’attendent à de la douleur et vivent douloureusement ce qui devrait être un simple examen interne de routine, un exemple parmi tant d’autres de la souffrance inutile qu’endurent les femmes au cours d’un examen ou d’un traitement médical.

Toutefois, environ 25% des écoles de médecine étudiées ont montré qu’elles offraient des cours facultatifs sur la santé de la femme, qui tiennent compte des préoccupations en matière de santé ayant des répercussions particulières sur la femme, notamment l’ostéoporose, l’incontinence, les maladies cardiaques, le cancer du sein et la ménopause [E. Nechas & D. Foley, 1994]. On ne sait pas clairement si ces cours facultatifs sur la santé de la femme traitent également de l’intégration de la parité entre les sexes et de l’analyse des disparités entre les sexes dans le secteur de la santé.

L’analyse du programme d’études de médecine de deux facultés de médecine des universités publiques en Malaisie a montré qu’il y avait eu de récentes tentatives en vue d’équilibrer les préjugés biomédicaux à l’égard de l’intégration du patient dans la famille, la communauté et la société. Ceci se reflète par exemple dans les objectifs des cours de médecine en vue de “ produire des médecins compétents ayant une approche holistique de la pratique de la médecine “ et “ ... qui feraient partie intégrante de l’équipe et du personnel sanitaire “ [UMMC, février 1998, p.2 ; Rashidah Shuib & Roziah Omar, 1996, p.4]. Malgré ces innovations en termes d’intégration dans les programmes d’études de la médecine, ceux-ci se fondent encore fortement sur une approche biomédicale, les cours psychosociaux et culturels étant considérés comme des “ disciplines faibles “ [Rashidah Shuib & Roziah Omar, 1996, p.11]. En ce qui concerne l’examen clinique essentiel à la santé de la femme, l’examen de la poitrine est enseigné par le chirurgien généraliste sur des patientes malades, présentant notamment des abcès ou des tumeurs, au début avec des groupes de dix étudiants mais maintenant avec uniquement un étudiant à la fois. Les étudiants apprennent les examens vaginaux en observant/en assistant les accouchements, au cours de leur stage au service d’obstétrique et lorsque les patientes sont anesthésiées pour être opérées, au cours de leur stage au service de gynécologie. Il a été rapporté que pour les étudiants en médecine, l’examen de la poitrine et du bassin présentait un nombre considérable de problèmes du fait de leur peu de connaissance de l’anatomie féminine, de troubles à l’égard du sexe et de la sexualité de la femme et de la résistance des patientes à se faire examiner par des étudiants stagiaires. Il n’existe pas de cours spécifique sur la santé de la femme, qu’il soit intégré dans le programme d’études de médecine ou qu’il s’agisse de cours facultatif. La femme est étudiée comme membre de la famille, tout particulièrement en tant que mère dans le cours sur la santé de la famille, en présentant de nouveau de façon stéréotypée la santé de la femme et en la limitant uniquement au cadre de la reproduction. De plus, l’approche de la santé génésique de la femme est toujours essentiellement biomédicale. Par exemple, ce sont les aspects biomédicaux des effets indésirables des différentes méthodes de contraception qui sont soulignés aux étudiants en médecine. Bien que ceux-ci soient exposés aux barrières culturelles et religieuses à l’égard du planning familial, du fait du contexte multi-ethnique des patientes, les questions sous-jacentes des rapports de force entre les hommes et les femmes affectant le sexe, la sexualité et la contraception sont rarement discutées voire même soulevées en cours.

Il est toutefois encourageant de noter que des incursions innovatrices ont été effectuées en vue de transformer les préjugés biomédicaux de l’enseignement de la médecine des autres pays de la région Asie-Pacifique. Par exemple, le collège médical privé de l’université Aga Khan, au Pakistan, a introduit la femme dans le contexte des soins de santé primaires de son Département des Sciences de santé communautaire. Au cours des années où il n’y a pas de cours cliniques, on enseigne aux étudiants en médecine certaines disciplines, notamment le “ rôle de la femme dans le secteur de la santé “ et “ les femmes et l’environnement “ et les étudiants-infirmiers traitent de questions d’ordre social dans le secteur de la santé de la femme dans le cours sur la culture, la santé et la société. Ce département vient de créer un réseau, le Pakistan Reproductive Health Network (PRHN), qui comprend des professionnels médicaux et non médicaux, en vue de promouvoir la santé génésique dans le pays et de profiter des différentes approches (en prenant probablement en compte des approches non biomédicales et plus fondées sur les sexospécificités) de la santé de la femme (R. Zaman & K. Marvi, 1996). Aux Philippines, l’université publique des Philippines (UPM), à Manille, s’est impliquée dans des programmes innovateurs qui intègrent les aspirations sociales et les besoins en matière de santé du peuple philippin. Sa faculté de médecine offre un programme intégré d’arts libéraux et de médecine dont l’objectif est d’offrir aux étudiants en médecine autant de sciences sociales et humaines que possible, en vue de les sensibiliser à ces sujets (P. Ramoz-Jimenez & F. Castillo, 1996). Bien qu’il ne soit pas certain que la sensibilisation sociale intègre la sensibilisation aux sexospécificités, du moins le programme d’études de médecine de l’UPM semble avoir une approche moins biomédicale que certains enseignements plus conventionnels de la médecine dans la région.

En ce qui concerne l’enseignement offert aux autres professionnels du secteur de la santé, tout particulièrement les infirmiers, on peut dire de façon générale, que le programme d’études compte relativement plus de cours de sciences sociales liées au comportement en termes de santé et aux soins à donner aux patients. Toutefois, leur sensibilisation à l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dépend considérablement de leurs institutions et de leurs enseignants respectifs.

La recherche médicale

Malgré le fait que les maladies, tout particulièrement les maladies cardiaques, la dépression et le SIDA, affectent différemment les hommes et les femmes, de nombreuses études médicales sur les maladies, les traitements et les résultats, qu’ils soient coûteux ou non, à court ou à long-terme, ont été réalisées en utilisant des sujets masculins. Il a été rapporté que non seulement les préjugés sexistes avaient “ infecté “ la recherche médicale mais que les femmes avaient été systématiquement exclues des études médicales. Ceci a été démontré par les observations suivantes : les femmes n’ont pas été prises en compte dans les études sur les maladies cardiaques ; l’absence de fonds pour certaines maladies qui affectent de façon disproportionnée les femmes, notamment le cancer du sein ; et l’innocuité et la sécurité des médicaments n’ont été testés que sur les hommes mais ces médicaments seront également distribués aux femmes. Il a été rapporté que le National Institute of Health, l’institution de financement la plus importante aux Etats-Unis pour la recherche médicale, n’avait dépensé que 13% de son budget total aux questions relatives à la santé de la femme. Une étude de cinq ans sur la santé dirigée par des médecins et financée par le NIH, sur la prise d’aspirine et la réduction des infarctus, a étudié 22071 hommes et aucune femme. Une étude prospective sur la santé et le vieillissement a inclus des hommes uniquement au cours des vingt premières années, malgré le fait que la majorité des personnes ayant plus de soixante-cinq ans soient des femmes. Aussi incroyable que cela paraisse, un projet de l’université Rockefeller relatif aux répercussions de l’obésité sur la tendance des femmes à développer un cancer du sein ou de l’endomètre, ne comprenait que des hommes comme sujets d’étude [E. Nechas & D. Foley, 1994].

De façon générale, il y a certainement eu des analyses comparativement plus critiques ou féministes de la recherche médicale réalisées et publiées dans les pays développés, que dans les pays en développement. Il est cependant important de noter que tout particulièrement dans le domaine de la recherche en matière de santé relative au planning familial dans les pays en développement, les relations entre les sexes ne sont généralement pas prises en compte dans les études. La méthodologie de recherche d’étude ‘connaissances, attitudes et pratiques’ (KAP) qui était universellement utilisée en vue de déterminer les tristement célèbres “ besoins nouveaux “ du planning familial dans les pays en développement au cours des années 60, a été sévèrement critiquée comme étant à la fois eurocentrique et comportant des préjugés culturels [J.W. Ratcliffe, 1976]. Les besoins nouveaux sont généralement définis par le fait de ne plus désirer d’enfants ou de retarder la grossesse en utilisant la contraception moderne, notamment la pilule contraceptive orale, les dispositifs intra-utérins, les préservatifs et la stérilisation. L’estimation des besoins nouveaux de la méthodologie KAP et les données de l’étude sur la démographie et la santé financée par l’USAID, étaient devenues un important instrument de politique en vue de conceptualiser et d’élaborer les politiques en matière de population et les programmes de planning familial dans l’ensemble des pays en développement dans les années 60 et 70 [R. Dixon-Mueller, 1993 ; Y.L. Wong, 1995]. Ma lutte contre la définition traditionnelle des besoins nouveaux se fonde sur le fait que celle-ci dépend des contraceptifs modernes comme seul critère de moyen efficace soit d’espacer soit de limiter les naissances, sans prendre en compte l’utilisation prédominante de méthodes traditionnelles et non programmées, tout particulièrement l’allaitement au sein et le retrait. En plus de ces parti-pris culturels, cette mesure universelle ne prend aucunement compte des pratiques de contrôle de la fécondité utilisées par les femmes (notamment l’allaitement au sein) et les hommes (notamment le retrait) dans les pays en développement. Non seulement ces méthodes locales ne présentent pas d’effets indésirables, sont contrôlables par l’utilisateur et impliquent les hommes, mais leur réussite et leur durabilité se fondent sur des négociations et une compréhension préétablies entre les partenaires dans leurs relations sexuelles. Ces relations intimes et de force entre les hommes et les femmes sont souvent ignorées dans les programmes de planning familial qui encouragent les contraceptifs modernes, ce qui pourrait expliquer pourquoi ceux-ci se sont heurtés à plus d’échecs que de réussites [Y.L. Wong, 1995]. Les droits sexuels et génésiques des hommes et des femmes ont été négligés de façon très flagrante dans ces programmes de planning familial qui ne tiennent aucunement compte des sexospécificités, en vue d’atteindre les objectifs économiques et démographiques des politiques d’état en matière de population.

Ces fossés et ces préjugés sexistes dans l’enseignement et la recherche en médecine signifient que les médecins ont pratiqué la santé de l’homme sur la femme, ce qui non seulement compromet la santé et les soins de santé de la femme mais met également en danger la vie de la femme. Malgré tout, les scientifiques et les chercheurs dans le secteur de la médecine qui excluent les femmes de leur recherche déclarent que c’est en réalité pour protéger le foetus chez la femme du fait qu’elle pourrait tomber enceinte au cours d’une étude clinique - pour “ le bien de la femme “, en quelque sorte. Le cycle de la femme pourrait également compliquer la recherche et accroître le coût, sans parler de la crainte que ces fluctuations hormonales ne contaminent leurs données avec les éléments de confusion et extérieurs à l’étude. Ces fausses raisons ne font que refléter la vision déformée des fonctions corporelles normales uniques à la femme comme étant une “ maladie ou un état médical “. Le pire est la perpétuation de la théorie erronée mais largement répandue selon laquelle la mauvaise santé de la femme est due à sa biologie, ce à quoi on ne peut pratiquement rien faire en vue de changer ou d’améliorer la santé et le bien-être de la femme - alors pourquoi se préoccuper d’intégrer la femme dans la recherche médicale ?

La raison sous-jacente des recherches et études médicales exclusivement masculines est que ce qui est valable pour la médecine est ce qui est valable pour la société, et il s’agit de l’homme non de la femme [E. Nechas & D. Foley, 1994]. Ceci fait partie de la continuité des relations inégales entre les sexes, la société valorisant le travail et la vie de l’homme et négligeant ceux de la femme. Si pendant tout ce temps on nous a fait étudier la vie de l’homme dans les domaines de l’histoire, de la politique et de l’art, pourquoi en serait-il autrement pour la médecine ? En fait, il a été rapporté que l’institution de la médecine scientifique était discriminatoire à l’égard des femmes dans la société de façon générale et que, par les connaissances et la pratique médicales, elle servait à créer et à maintenir les disparités entre les sexes dans la société [L. Doyal, 1994, p. 68].

4. L’enseignement et la recherche en médecine tenant compte des sexospécificités

Quels pourraient être la philosophie, les valeurs ou les objectifs, le contenu et les stratégies en termes d’enseignement et d’apprentissage de ces changements dans le secteur de l’enseignement et de la recherche en médecine, en vue de garantir la mise en oeuvre réussie des recommandations du programme de Beijing (1995) sur les femmes et la santé et l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le secteur de la santé ? La discussion précédente sur les inégalités entre les sexes en termes de santé et de préjugés sexistes dans l’enseignement de la médecine nous oblige à adopter une approche qui tienne compte des sexospécificités dans l’enseignement de la médecine et qui intégrerait complètement les disparités existantes entre les sexes dans les soins de santé sur tous les plans. Cette approche devra également mettre en relief la participation de la femme dans le système de santé. L’objectif ultime consisterait à “ former les médecins à traiter les femmes de la tête aux pieds, et non uniquement de la taille aux pieds “ [E. Nechas & D. Foley, 1994].

On peut apprendre et prendre énormément des réussites et des réalisations des mouvements de santé de la femme au cours des vingt-cinq dernières années. Au moyen d’un réseau de groupes d’action sociale et de centres de santé de la femme offrant des soins de santé aux femmes par des femmes, le mouvement de santé de la femme a lutté en vue de démystifier les connaissances médicales et les diffusant davantage par des moyens non élitistes et non autoritaires. En validant les expériences des femmes relatives à leur corps et leurs observations des processus physiologiques qui se produisent dans leur corps, les femmes réussirent à remettre en question les connaissances cliniques “ objectives “ des docteurs en médecine et démontrèrent que leurs propres connaissances “ subjectives “ étaient appropriées à la compréhension des problèmes de la femme en matière de santé. Ainsi, les mouvements de santé de la femme ont initié la pratique de l’enseignement féministe en matière de santé, fondée sur l’élaboration de ces nouvelles compétences et nouveaux domaines de connaissance [L. Hunt, 1997 ; L. Doyal, 1994].

Lynne Hunt [1997], après avoir étudié 73 agences de santé de la femme dans neuf pays occidentaux, avança que les mouvements de santé de la femme avaient réellement créé une spécialité de santé de la femme distincte. Elle identifia les huit caractéristiques clé suivantes de la spécialité : des prestations réservées uniquement aux femmes ; la création d’un espace pour les femmes ; une aide personnelle et le concept de holisme ; un service de conseils féministe et un appui de femme à femme ; un travail en équipe exclusivement féminin ; des soins de santé diversifiés ; un partage des informations et une action sociale, et enfin, l’accessibilité. Hunt expliqua par exemple que les soins de santé diversifiés se réfèrent aux différences chez les patientes ou les utilisatrices des soins de santé - classes sociales, orientation sexuelle, groupes culturels ou ethniques différents, etc., alors que le modèle de soins médicaux traite les femmes comme un groupe homogène. La spécialité en matière de santé de la femme estime qu’il convient de créer un espace pour la femme dans le sens social, physique et temporel du terme. Dans cet espace réservé à la femme, non seulement les femmes pourront se sentir en sécurité et valorisées mais elles se sentiront aussi à l’aise que chez elles et éviteront l’atmosphère clinique impersonnelle associée aux centres médicaux. Selon Hunt, les trois idéologies du féminisme, la responsabilisation et le modèle social de la santé sont l’empreinte des mouvements de santé de la femme et les piliers de la spécialité. Toutefois, l’application de ces principes varie en fonction de chaque situation locale. Dans le cadre de la spécialité, le concept de santé a été élargi de sa base biomédicale pour intégrer le contexte social dans lequel vivent les femmes. Hunt demande fortement l’intégration de la spécialité dans le programme d’études des soins tertiaires, stipulant que les principes féministes et la pratique de responsabilisation devraient être enseignés dans le cadre du modèle social de la santé. Les difficultés abonderont, tout particulièrement en termes d’appropriation et de monopolisation de ces principes, risquant leur cooptation et leur médicalisation [L. Hunt, 1997]. Bien que le modèle de centre de santé de la femme tel qu’il existe en Australie, au Canada ou aux Etats-Unis ne soit pas répandu dans la région d’Asie du sud-est, il existe de nombreux groupes et organisations de santé de la femme qui se concentrent sur la santé génésique, tout particulièrement en Indonésie et aux Philippines (communication personnelle avec Lynne Hunt). A l’exception des associations volontaires de planning familial en Malaisie, relativement peu d’organisations de femmes offrent réellement des prestations et une éducation sanitaires spécifiques aux femmes. Il y a également relativement moins d’informations relatives à la façon dont l’expérience de ces groupes de santé de la femme pourrait être intégrée dans l’enseignement de la médecine dans la région, du fait de la difficulté d’accès aux études ou aux recherches publiées.

En fait, l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le programme d’études de la médecine qui comprendrait les principes et les pratiques de la spécialité en matière de santé de la femme décrits ci-dessus constituerait un bon début. Cependant, comment traduire et exécuter le modèle de spécialité de Hunt dans un cadre médical ? En premier lieu, cette transformation impliquerait des changements idéologiques considérables et non uniquement de simples réformes du programme d’études. Actuellement, les étudiants en médecine ont tendance à se concentrer uniquement sur l’acquisition de compétences cliniques sans remettre en question les valeurs et la philosophie sous-jacentes de la médecine. Pour de nombreux étudiants en médecine admis dans les programmes de médecine qui ne requièrent aucun enseignement de base ou général dans le domaine des arts libéraux et qui ont été jusque là intégrés dans les sciences “ dures “, les concepts de justice sociale, de féminisme, de responsabilisation et d’action sociale ne représentent que de nouveaux termes et n’ont aucune signification particulière. De façon générale, les étudiants en médecine soit ne conceptualisent pas ce qu’ils apprennent soit ne peuvent pas le faire, du fait qu’on leur apprend à réagir ainsi. Comment combler ce fossé idéologique et appliquer une pédagogie appropriée ?

Deuxièmement, quels méthodes et cours d’enseignement explicites sont requis dans les salles de cours afin qu’après avoir obtenu son diplôme, le médecin puisse être compétent en termes de médecine et de technologie génésiques et qu’il puisse être en mesure de responsabiliser une patiente à exercer son droit à l’avortement ? De quelle façon un étudiant en médecine, un interne, un infirmier ou un médecin qualifié dans un hôpital pourrait-il aider la mère qui est allongée chez elle, en train de mourir d’une hémorragie post-partum mais qui ne peut se rendre à l’hôpital sans la permission de son mari du fait que celui-ci ne se trouve pas en ville ? Seront-ils en mesure de reconnaître ses droits sur son propre corps et de s’opposer à son mari et à la famille de son mari, de façon acceptable culturellement ? Par conséquent, il convient que les étudiants en médecine apprennent les nouvelles idéologies et les concepts prenant en compte les sexospécificités et les appliquent et apportent un changement aux rapports de force inégaux qui existent entre les hommes et les femmes qui provoquent des disparités dans le cadre de la santé et des soins de santé de la femme. Troisièmement, l’évaluation, qui est étroitement liée aux méthodes d’enseignement. Quelle évaluation innovatrice serait adaptée afin de mesurer les valeurs, attitudes et engagements ci-dessus des futurs médecins qui prendraient en compte les sexospécificités ?

En termes de stratégie, vaut-il mieux créer une spécialité de santé de la femme indépendante de la médecine ? Ou serait-il plus efficace d’intégrer un souci de parité entre les sexes, en spirale, dans le domaine de la médecine ? Bien qu’il convienne d’offrir des prestations sanitaires spécifiques à la femme, une spécialité indépendante en matière de santé de la femme ne servirait-elle pas uniquement à “ prêcher pour des convaincus “ ? Ou cette spécialité ne finira-t’elle pas par ressembler à n’importe quelle branche de la médecine spécialisée ?

Enfin, comment intégrer la parité entre les sexes dans le secteur de la santé lorsque les disparités entre les sexes restent la norme du reste de la société ? Ceci signifierait-il la nécessité inconditionnelle d’un changement politique plus large ? Voici quelques-unes des questions brûlantes que je souhaite poser, relatives à l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans l’enseignement de la médecine de façon générale et à la mise en oeuvre d’un modèle de spécialité en matière de santé de la femme dans la pratique médicale en particulier.

5. Conclusion

Nous comprenons maintenant que le système de l’enseignement et de la recherche en médecine fondé sur l’approche biomédicale et les préjugés sexistes n’a pas intégré les préoccupations de la femme en matière de santé et qu’il a également créé et contribué aux disparités entre les sexes dans le secteur de la santé et au sexisme dans le secteur médical. En conséquence, les examens rationnels et sans douleur de la poitrine et du bassin, pour les femmes, ne font pas partie intégrante de la pratique de l’enseignement médical, provoquant des souffrances inutiles pour les femmes en traitement. De même, il apparaît clairement que du fait que la majorité de la recherche médicale se fonde exclusivement sur les hommes, les médecins ont pratiqué une santé de l’homme sur la femme, ce qui compromet les soins de santé des femmes et met leur vie en danger.

Par conséquent, nous ne pouvons certainement pas permettre que ces disparités entre les sexes dans le secteur de la santé ni que ces préjugés sexistes dans le secteur de l’enseignement et de la recherche en médecine continuent. Nous devons agir rapidement et à l’échelle mondiale dans le but de dévier le paradigme de ce qui a été instillé depuis le dix-huitième siècle, lorsque l’enseignement de la médecine était organisé essentiellement en vue de produire massivement des médecins.

J’aimerais maintenant discuter des questions mentionnées ci-dessus relatives au changement dans le cadre de l’enseignement et de la recherche en médecine avec toutes les personnes présentes aujourd’hui afin d’élaborer ensemble un plan d’action pour un enseignement et une recherche en médecine qui tiendraient compte des sexospécificités.