Lorsque le th¨¦oricien am¨¦ricain Buckminster Fuller a dit que ? [nous] sommes appel¨¦s ¨¤ ¨ºtre les architectes de l'avenir, non ses victimes ?, il ¨¦tait loin de se douter combien cette t?che serait difficile dans les ann¨¦es qui ont suivi sa mort.

Dans la deuxi¨¨me d¨¦cennie du XXIe si¨¨cle, l'architecture dont nous avons besoin pour r¨¦soudre les probl¨¨mes mondiaux - y compris les obstacles ¨¤ une civilisation plus durable - pr¨¦sente autant de difficult¨¦s que les probl¨¨mes eux-m¨ºmes. Elle n¨¦cessite des niveaux sans pr¨¦c¨¦dent de collaboration internationale, de nouvelles institutions et de nouveaux syst¨¨mes ainsi que le courage d'affronter les menaces non seulement pour la vie quotidienne, mais aussi pour les syst¨¨mes naturels qui soutiennent la vie. De simples transactions ne sont pas suffisantes. Selon l'homme d'affaires et chef d'entreprise Sam Walton, ? le progressisme est le pire ennemi de l'innovation. Ce n'est pas d'une am¨¦lioration permanente dont nous avons besoin, mais d'un changement radical ?.

Bien que B. Fuller n'ait pas pu imaginer la difficult¨¦ du probl¨¨me, son analogie n'en est pas moins instructive. Pensons ¨¤ ce que font les architectes. D'abord, ils discutent avec leurs clients pour savoir quels sont leurs besoins et leurs attentes. Cette conversation est un ¨¦change d'informations : une combinaison des exigences du client et des connaissances de l'architecte concernant les derni¨¨res conceptions du secteur de la construction. Ensuite, celui-ci propose un ou deux choix. Une fois que le client approuve, l'architecte dessine les plans qui serviront aux ing¨¦nieurs et aux entrepreneurs qui r¨¦aliseront la construction.

Appliquez ce processus au monde des affaires avec les peuples du monde comme clients, le d¨¦veloppement durable pour objectif, les Nations Unies comme cabinet d'architecture et les n¨¦gociateurs internationaux comme architectes. Il appara¨ªt que deux ¨¦l¨¦ments essentiels du processus sont ¨¤ am¨¦liorer : le dialogue avec les clients et la mise en ?uvre des conceptions qu'ils ont vues, comprises et voulues.

Dans le cadre des activit¨¦s des Nations Unies sur le d¨¦veloppement durable, y compris la Conf¨¦rence Rio +20 en juin 2012, de nombreuses consultations ont eu lieu avec les parties concern¨¦es, mais pas encore vraiment au niveau mondial. De plus, la r¨¦alisation des conceptions - dans ce cas, les visualisations de soci¨¦t¨¦s durables - n'a pas ¨¦t¨¦ un ¨¦l¨¦ment important des n¨¦gociations. Nous avons pourtant des capacit¨¦s extraordinaires pour engager un dialogue international et une vision que nous n'avions pas lors du premier Sommet de la Terre qui s'est tenu ¨¤ Rio de Janeiro en 1992. L'acc¨¨s g¨¦n¨¦ralis¨¦ du public ¨¤ l'autoroute de l'information d'Internet n'existait pas alors, ni les nombreux m¨¦dias sociaux qui permettent d'instaurer un dialogue sans les limites du temps r¨¦el. Les consultations entre les d¨¦cideurs politiques et les peuples du monde dont l'avenir est en jeu n'ont jamais ¨¦t¨¦ aussi faciles qu'aujourd'hui.

Parall¨¨lement, les progr¨¨s des technologies de la communication et des arts visuels sont tels qu'il est souvent difficile de distinguer la r¨¦alit¨¦ du virtuel. L'industrie des loisirs utilise ces technologies pour nous faire vivre des aventures dans des mondes imaginaires; l'industrie de la publicit¨¦ les utilise pour ¨¦veiller en nous de nouveaux d¨¦sirs. Si un une image vaut mieux qu'un long discours, les images que nous cr¨¦ons aujourd'hui peuvent ¨ºtre infiniment plus efficaces pour toucher le public que les documents d'orientation sur des sujets comme le d¨¦veloppement durable. Comme l'a d¨¦clar¨¦ le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ban Ki-moon le 22 novembre 2011 : ? Nous avons besoin d'un avenir diff¨¦rent. ? quoi ressemblerait notre monde si chacun avait acc¨¨s ¨¤ la nourriture dont il a besoin, ¨¤ l'¨¦ducation et ¨¤ l'¨¦nergie qu'il est n¨¦cessaire de d¨¦velopper ? ? quoi ressembleraient nos communaut¨¦s si nous cr¨¦ions une ¨¦conomie verte, dynamique et cr¨¦atrice d'emplois ? C'est l'avenir que nous voulons ?.

On ne peut pas dire que la vision de l'avenir soit absente de la soci¨¦t¨¦; en fait, les images n¨¦gatives de l'avenir dominent les m¨¦dias populaires. Prenons, par exemple, le documentaire La onzi¨¨me heure, les films Le jour d'apr¨¨s et La route, ou les journaux t¨¦l¨¦vis¨¦s montrant des images de r¨¦cession ¨¦conomique, de guerres, de sans-abri, de ch?meurs ainsi que le traitement brutal des populations par leurs gouvernements. Le probl¨¨me est que les images de l'avenir que nous devons ¨¦viter ne sont pas contre- balanc¨¦es par les images d'un avenir que nous voulons b?tir.

Une vision d¨¦s¨¦quilibr¨¦e de l'avenir a sa propre force, et de nombreux d¨¦fenseurs des perspectives futures l'ont adopt¨¦e. Le c¨¦l¨¨bre ¨¦cologiste britannique Jonathan Porritt critique ses pairs qui se concentrent seulement sur la destruction de l'environnement plut?t que sur la capacit¨¦ des syst¨¨mes naturels ¨¤ soutenir la vie. ? Pour des raisons historiques et intellectuelles tout ¨¤ fait compr¨¦hensibles, le discours ¨¦cologique actuel continue d'¨ºtre davantage dict¨¦ par l'id¨¦e de p¨¦nurie et de limites que par des id¨¦es positives ?, ¨¦crit-il. ? Mais la peur de l'avenir emp¨ºche les gens de se prendre en main; elle les affaiblit et les assujettit. ?

D'autres observateurs ont not¨¦ que le discours construit sur la peur dans nos m¨¦dias entra¨ªne une perte de dynamisme face aux discours apocalyptiques, les gens ayant tendance ¨¤ ne plus prendre part aux actions pour r¨¦gler des probl¨¨mes qui semblent insurmontables. ? ce point, l'apocalypse devient une proph¨¦tie de sa propre r¨¦alisation.

Une vision positive a un effet tout ¨¤ fait diff¨¦rent. Un lien ¨¦motionnel avec les avantages d'un monde plus durable peut favoriser le soutien du public qui, ¨¤ son tour, peut produire la volont¨¦ politique n¨¦cessaire pour r¨¦aliser les aspirations d'Action 21 ou des Objectifs du Mill¨¦naire pour le d¨¦veloppement.

Sur la base de ces hypoth¨¨ses, un groupe d'experts en communications et en d¨¦veloppement durable s'est r¨¦uni ¨¤ New York, en 2009 pour ¨¦tablir un diagnostic des ¨¦l¨¦ments manquants dans le d¨¦bat mondial consacr¨¦ ¨¤ l'avenir. Il en a r¨¦sult¨¦ un projet intitul¨¦ L'avenir que nous voulons, qui comprend deux grandes parties.

La premi¨¨re partie est consacr¨¦e ¨¤ une conversation mondiale - une invitation lanc¨¦e ¨¤ tous les peuples du monde pour qu'ils disent, par le biais d'Internet et des m¨¦dias sociaux ou par des dessins ou des lettres, quel avenir ils veulent dans 20 ans pour eux et pour leur communaut¨¦. Dans la deuxi¨¨me partie, les meilleurs artistes visuels du monde ainsi que des sp¨¦cialistes des technologies et des conceptions durables utiliseront les r¨¦sultats de la conversation mondiale pour cr¨¦er des visualisations de communaut¨¦s durables dans diff¨¦rents pays et diff¨¦rentes cultures. Ces visualisations seront pr¨¦sent¨¦es dans une exposition ¨¤ la Conf¨¦rence Rio+20.

Depuis que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral a annonc¨¦ en novembre 2001 que L'avenir que nous voulons sera le slogan de Rio+20, cette phrase a ¨¦t¨¦ reprise dans le monde. Il l'a adopt¨¦e comme th¨¨me de son programme d'action entier. L'avant-projet du document final de la Conf¨¦rence Rio+20 s'intitule L'avenir que nous voulons et les organisations de jeunes, dont ̽»¨¾«Ñ¡ Child et The Road to Rio+20, ont adopt¨¦ le th¨¨me L'avenir que nous voulons pour une journ¨¦e mondiale d'action avant la conf¨¦rence.

Toutefois, L'avenir que nous voulons n'est pas le seul projet visant ¨¤ mobiliser des id¨¦es et des visions positives. My Green Dream, une initiative de l'Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et le R¨¦seau de centres internationaux de formation des acteurs locaux (CIFAL), r¨¦unit de courtes vid¨¦os o¨´ des personnes du monde entier parlent de leurs aspirations pour l'avenir. Sustainia, un projet d'une cellule de r¨¦flexion danoise, Monday Morning, organise un concours pour les 100 meilleures id¨¦es relatives au d¨¦veloppe- ment durable d'ici ¨¤ 2020. ? New York, l'Institut des transports et du d¨¦veloppement des politiques a lanc¨¦ un projet appel¨¦ Cr¨¦ons nos villes, o¨´ des architectes de renom ont dessin¨¦ ¨¤ quoi ressemblerait l'avenir durable dans des villes en Chine, en Inde, au Br¨¦sil, en Argentine, en Indon¨¦sie, au Mexique, en Hongrie, en Tanzanie et en Afrique du Sud (voir page suivante). America 2005, un projet de la Regional Plan Association ¨¤ New York, a produit une vid¨¦o, Journey to Detroit, montrant ¨¤ quoi pourrait ressembler la vie d'un banlieusard dans le futur.

Les entreprises participent aussi au mouvement. Arup, une entreprise internationale sp¨¦cialis¨¦e dans le d¨¦veloppement, montre dans une vid¨¦o ¨¤ quoi pourrait ressembler l'infrastructure dans le futur. Corning a produit un film appel¨¦ A Day Made of Glass, montrant comment ses produits pourront faciliter la vie. Siemens et son concurrent, General Electric, ont cr¨¦¨¦ leurs propres visions de l'avenir.

D'autres groupes ont cr¨¦¨¦ des outils pour simuler des sc¨¦narios sur le d¨¦veloppement durable comme moyen de tester diff¨¦rents avenirs. L'un d'eux, produit par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et le Gouvernement du Royaume-Uni, permet aux gens de modifier leur maison et leur entreprise virtuelles, puis calcule l'empreinte carbone. Le jeu Urbanology, produit par le Guggenheim Laboratory, pose huit questions aux participants leur demandant comment ils envisagent leur ville id¨¦ale, puis leur montre comment elle fonctionnerait. Pour ceux qui pensent qu'il nous faudra un super h¨¦ro pour cr¨¦er l'avenir que nous voulons, Pixton offre un outil en ligne pour cr¨¦er des bandes dessin¨¦es et les partager
avec le monde entier sur Facebook et Twitter.

Toutefois, la visualisation comme outil de politiques et de progr¨¨s comporte des obstacles et certaines conditions de base sont n¨¦cessaires pour rendre cette vision efficace. L'un de ces obstacles est le manque d'int¨¦r¨ºt de la part des d¨¦cideurs consid¨¦rant que la vision pr¨¦sent¨¦e est l¨¦g¨¨re, utopique et sans fondement. Pour ceux qui sont engag¨¦s dans le champ de bataille politique, pr¨¦senter des visions pour l'avenir ¨¤ la table des n¨¦gociations peut s'apparenter ¨¤ aller sur le champ de bataille avec de la guimauve au lieu de balles. Toutefois, les visions positives ont un pouvoir. Pour l'exercer, elles doivent satisfaire ¨¤ quelques normes. Elles doivent ¨ºtre r¨¦alistes. Elles doivent nous donner des r¨¦ponses visuelles aux questions
? Comment les communaut¨¦s feront-elles pour att¨¦nuer les effets des changements climatiques et s'adapter ¨¤ une situation qui est d¨¦j¨¤ in¨¦vitable ? ?, ? Comment les villes feront-elle face ¨¤ l'urbanisation rapide ? ? ou ? ? Aimerais-je que ma famille habite dans un quartier z¨¦ro carbone ? ? Ces visions pour l'avenir doivent d¨¦crire des objectifs r¨¦alisables ¨¤ court terme et ¨ºtre cr¨¦dibles. Un grand nombre des meilleures visualisations actuelles montrent les villes d'aujourd'hui mises aux normes pour en faire des villes plus durables.

Les visualisations doivent ¨ºtre adapt¨¦es aux cultures sans prendre ¨¤ priori comme mod¨¨le le style de vie et les villes des pays occidentaux. De fait, les visualisations de villes durables sont importantes en ce sens qu'elles permettent de changer la fa?on dont nous d¨¦finissons le succ¨¨s en mati¨¨re de d¨¦veloppement ¨¦conomique et de qualit¨¦ de vie.

Une conversation mondiale doit ¨¦galement r¨¦pondre ¨¤ certaines normes. Elle doit inclure tous ceux qui n'ont pas acc¨¨s ¨¤ Internet ou aux m¨¦dias sociaux, ceux dont la voix n'est pas entendue. C'est une t?che ¨¤ laquelle L'avenir que nous voulons compte s'atteler avec l'aide des r¨¦seaux de bureaux des Nations Unies et des organisations internationales qui sont pr¨¦sents dans des r¨¦gions recul¨¦es.

Notre d¨¦fi et notre devoir consistent ¨¤ utiliser nos outils enti¨¨rement nouveaux pour mobiliser ceux qui b?tissent l'avenir et ceux qui en h¨¦riteront. Comme l'a dit la scientifique am¨¦ricaine Donella Meadows aujourd'hui disparue, ? si nous n'avons pas indiqu¨¦ avec pr¨¦cision l¨¤ o¨´ nous voulons aller, il est difficile de r¨¦gler notre boussole, de susciter l'enthousiasme ou de mesurer les progr¨¨s [.] (pourtant) non seulement la vision est pratiquement absente des discussions politiques, mais elle l'est aussi de notre culture. Nous parlons interminablement de nos frustrations, de nos doutes et de nos griefs, mais rarement et, parfois avec embarras, de nos r¨ºves et de nos valeurs ?.

Face ¨¤ une multitude de d¨¦fis mondiaux qui limiteront nos choix pour l'avenir si nous ne les relevons pas, nous n'avons pas le temps d'¨ºtre embarrass¨¦s par les r¨ºves, les valeurs et les visions qui nous aident ¨¤ cr¨¦er l'avenir que nous voulons. Il est temps d'apporter ¨¤ la table des n¨¦gociations une vision pour l'avenir.

Pour participer ¨¤ la conversation mondiale sur l'avenir que nous voulons, visitez , Facebook ¨¤ facebook.com/Futurewewant ou Twitter ¨¤ @futurewewant.