Pour ceux qui ont pour t?che de prévenir les conflits meurtriers, la ? conférence de paix ? présente de nombreux atouts qui font partie de la bo?te à outils diplomatique. Elle permet de concentrer l’attention sur une question précise, avec la participation de tous les acteurs pertinents, idéalement dans un cadre neutre et sous l’égide d’un organisateur fiable, et donne un nouvel élan à l’élaboration de mesures ainsi qu’à leur échéance.

La ? diplomatie de conférence ? peut nous sembler une innovation relativement récente qui co?ncide avec le développement du multilatéralisme moderne et la reconnaissance croissante de l’interdépendance mondiale. Alors que nous célébrons le bicentenaire du Congrès de Vienne, nous avons en mémoire les tentatives précédentes de la ? communauté internationale ? d’établir une paix durable (voire promouvoir la justice). Mais méfions-nous de ne pas faire comme Friedrich von Genz, le bras droit du Prince Klemens von Metternich, qui, en proclamant que le Congrès de 1815 était ? un phénomène sans précédent dans l’histoire mondiale1? ? ignorait les nombreuses conférences de paix qui ont eu lieu en Italie durant la Renaissance et au cours des siècles suivants2.

Trois types de diplomatie de conférence

Trois types de conférences contribuent à la prévention des conflits. La première est la conférence de paix qui a lieu après un conflit important ou qui est organisée pour négocier la fin d’un conflit. Par exemple, la Conférence de paix de Paris de 1919, le Traité de Westphalie de 1648 et, plus récemment, les Conférences de paix, dites Genève 1 et Genève 2, consacrées à la recherche d’une solution pacifique en Syrie. Ces conférences peuvent contribuer à la prévention des conflits en offrant une instance de négociation sur la résolution d’un conflit et en jetant les bases du développement d’une paix durable.

D’autres conférences ont pour but de promouvoir la paix dans le monde ou s’emploient à empêcher l’aggravation d’un conflit et à instaurer des règles de conflit. La première Conférence de La Haye de 1899 et la deuxième Conférence de 1907 sont représentatives de ce type d’initiatives. Ces conférences avaient pour objet de contribuer à la prévention d’un conflit en clarifiant les définitions du jus ad bellum (droit de la guerre) et du jus in bello (droit pendant la guerre) et en promouvant des procédures pour le règlement pacifique des conflits. La Conférence de Rome, qui a préfiguré la création de la Cour pénale internationale qui a pour mandat d’ouvrir des enquêtes, de poursuivre et de juger les personnes soup?onnées de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans le monde, se situe dans la même optique.

Enfin, la diplomatie de conférence a émergé dans les années?1960 dans les conférences dites mondiales qui ont augmenté en nombre, mais pas nécessairement en qualité3. Ces conférences ont un effet indirect sur la prévention des conflits. Même en poursuivant des objectifs spécifiques à part entière, elles contribuent de manière significative à l’élaboration de stratégies visant à s’attaquer aux causes profondes des conflits, comme la dégradation de l’environnement, la pauvreté et l’incompréhension culturelle.

Le développement et la pratique des conférences de paix

Les conférences de paix ont été créées au XVIIIe siècle pour mettre fin aux guerres qui avaient ravagé la péninsule italienne. Au cours des siècles suivants, le mécanisme a été employé pour mettre fin aux guerres généralisées, comme à Westphalie. Il faudra, toutefois, attendre le Congrès de Vienne pour que la diplomatie de conférence soit utilisée comme nouvel instrument de l’organisation internationale.? Le Congrès – et le Concert européen qui en est issu était l’exemple typique de conférence ayant pour but de gérer la fin d’une guerre et de faciliter une paix générale dans son sillage. Fort comme il l’était des idées politiques de son temps, à savoir l’importance de la politique des grandes puissances et le rejet de l’universalité et de l’égalité souveraine des ?tats4, sa logique était fondée sur des hypothèses semblables à celles sur lesquelles sont fondées les conférences modernes.

Si, après le Congrès de Vienne, d’autres conférences ont eu lieu, en particulier le Congrès de Berlin de 1878 qui avait comme objectif de prévenir les conflits entre les puissances européennes et qui a ainsi divisé le monde sans tenir compte de l’auto-détermination des territoires colonisés, une tendance vers l’inclusion d’un plus grand nombre d’acteurs a été manifeste lors des Conférences de La Haye de 1899 et de 1907. Inspirées par les Conférences des Amériques qui se sont tenues après la premier Congrès du Panama organisé en 1826 par Simon Bolivar, les conférences de La Haye ont introduit de nouvelles règles procédurales qui incluaient un plus grand nombre de parties5. Pendant cette période, un appel a été lancé par les participants pour institutionnaliser le processus. La Société des Nations, qui a été créée suite à la Conférence de paix de Paris de 1919, s’y est sérieusement employée6. L’un de ses principaux objectifs a été d’établir un mécanisme de consultation diplomatique permettant d’arbitrer les conflits et, inspirée de la pratique des décennies précédentes, a pris en charge la plus grande partie du travail des conférences de paix et l’ont intégrée dans son modèle de diplomatie parlementaire7.

Le développement d’une norme internationale en matière de diplomatie de conférence est illustrée par l’idée, suite à l’échec de la Société des Nations et à la conclusion de la Deuxième Guerre mondiale, qu’une conférence doit avoir pour objectif l’établissement d’une nouvelle organisation afin de ? préserver les générations futures du fléau de la guerre ?. Avec les Nations Unies, le monde était, une fois de plus, doté d’une institution de gouvernance mondiale qui pouvait utiliser ses capacités organisationnelles pour prévenir les conflits. L’attrait pour les conférences en dehors des sphères institutionnelles s’est confirmé, un certain nombre de questions étant toutefois considérées comme ne relevant pas de la compétence des Nations Unies elles-mêmes. Par exemple, les conférences sur l’Asie du Sud-Est (Laos et Viet Nam) dans les années 1950, 1960 et 1970 et les pourparlers sur le Moyen-Orient (notamment la Conférence de Genève sur le Moyen-Orient en 1973) et Chypre (Conférence de Londres sur Chypre en 1959)8. Pourtant, le nombre de conférences de paix a diminué. ? partir des années 1960 et 1970, les conférences dites mondiales ont pris plus d’importance sur la scène internationale que la diplomatie de conférence telle qu’elle était précédemment considérée. Ces conférences, souvent tenues dans le climat étouffant de la guerre froide, incluaient presque tous les pays, traitaient de la prévention des conflits seulement de manière indirecte, examinant les obstacles structurels à la paix durable.

Pendant et après la guerre froide, le nombre croissant de conflits intra-étatiques a donné lieu à de nouvelles conférences de paix. Dans les années 1980, les ?tats d’Amérique latine se sont unis dans le cadre du processus de paix de Contadora-Esquipulas pour mettre fin aux guerres civiles par la médiation et l’organisation de conférences de paix visant à construire une paix durable dans la région et à assurer la sécurité des ?tats, établissant une sorte de sécurité commune9. L’éclatement de l’ancienne Yougoslavie a donné lieu à de nombreuses conférences visant à mettre fin au conflit. Finalement, la Conférence de Dayton, qui s’est tenue en 1965, a réussi à mettre fin aux combats et jeté les bases du développement de la Bosnie d’après-guerre. Les années 1990 et 2000 ont connu aussi un certain nombre de conférences pour la paix au Moyen-Orient : les conférences d’Oslo, les conférences de Madrid et le Sommet pour la paix au Moyen-Orient de Camp David sont trois exemples marquants. Ceux-ci étaient sur le point d’établir une paix durable entre Isra?l et ses voisins, mais ont été court-circuités par l’apparition de nouveaux conflits, illustrant les limites des conférences dans le contexte contemporain.

Le?ons tirées

Quelles le?ons pouvons-nous tirer de ce bref aper?u de la pratique de la diplomatie de conférence ? Si les premières conférences ont écarté le principe d’égalité souveraine des ?tats, ? les conférences générales pour la paix ? d’aujourd’hui sont censées inclure la représentation de tous les ?tats intéressés (et souvent également des acteurs non étatiques). Cette pratique s’est développée parallèlement au multilatéralisme, bien que la nature inclusive des conférences de paix de La Haye ait été antérieure à la création de la Société des Nations. Compte tenu des difficultés engendrées à La Haye par l’approche fondée sur le consensus, où 44 ?tats souverains s’étaient réunis pour représenter ? la conscience du monde civilisé ?, ce développement n’était pas considéré comme acquis. En même temps, les conférences de La Haye indiquaient aux diplomates, qui ont offert la le?on à leurs successeurs, qu’il existait un certain avantage à se réunir dans un cadre distinct, hors des voies diplomatiques normales, pour porter un regard neuf sur des problèmes bien connus. En outre, alors que nous pensons que le développement de réseaux internationaux qui s’appuie sur un réseau de relations personnelles est une préoccupation des temps modernes, le développement d’un esprit commun qui, en général, soutient les objectifs des conférences de La Haye (malgré certains échecs) a, en fait, créé un réseau de diplomates qui a plus tard coopéré à l’établissement de la Société des Nations11.

Par ailleurs, lorsque les ?tats visent à fixer les conditions d’un accord de paix qui vient d’être négocié ou s’emploient à mettre fin?à un conflit qui couve toujours, le recours à la diplomatie de conférence, à moins d’être gérée avec précaution, peut être contre-productif. Les historiens discuteront pendant longtemps des échecs de la Conférence de paix de Paris de 1919, qui a souffert de la décision de tenir une conférence peu après la conclusion d’une grande guerre et avec la participation d’un nombre limité d’?tats.

Moins originale qu’au temps de Metternich, une critique contemporaine de la diplomatie de conférence est que, lorsqu’elle est principalement concentrée sur des conflits en cours, comme en Syrie, l’organisation d’une conférence montre la pression exercée sur les ?tats pour qu’ils ? fassent quelque chose ?, au lieu d’envisager une approche diplomatique12. Lorsqu’il n’existe pas de stratégie claire, les? diplomates devraient considérer avec circonspection le recours aux conférences qui attirent inévitablement l’attention des médias. Dans de nombreux cas, la diplomatie traditionnelle, comme dans la médiation de l’Union européenne entre la Serbie et le Kosovo, peut être plus appropriée que la convocation d’une grande conférence destinée à exercer une pression stratégique sur les parties (ou les parties potentielles) à un conflit.

Vers l’avenir

Pour être un instrument efficace dans les décennies à venir, la diplomatie de conférence doit tenir compte de la nature des conflits modernes. Le nombre de conflits non étatiques a augmenté, passant d’environ 15 conflits enregistrés en 1989 à 38 en 201113, et le nombre de morts au combat dans ce type de conflit a été multiplié par trois entre 2007 et 2001, passant de 2 000 environ à plus de 6 000 par an. Ces conférences doivent également tenir davantage compte de la variété d’acteurs impliqués dans les conflits modernes ou de parties intéressées, notamment les groupes armés non étatiques (qui peuvent être des organisations terroristes interdites) et les organisations de la société civile (qui peuvent souvent assister aux conférences de paix en tant qu’observateurs, mais peuvent rarement y participer).

Si la diplomatie de conférence veut être un outil efficace pour la prévention des conflits et établir et mettre en ?uvre une paix durable, il sera essentiel de faire participer toutes les parties dans les conférences de paix multilatérales, à la fois celles à l’origine du conflit et celles qui en subissent les conséquences. Au vu des nombreux de défis qui menacent la paix et la sécurité internationales, Bertrand G. Ramcharan suggère que ? le moment est peut-être venu d’organiser une conférence de paix internationale pour moderniser l’architecture de la paix et de la sécurité au XXIe siècle14 ?. Sa suggestion arrive à point nommé et devrait faire partie d’une discussion plus large sur la réforme de la gouvernance mondiale, notamment celle du Conseil de sécurité des Nations Unies, afin d’améliorer sa capacité à jouer un r?le préventif. Alors que nous célébrons le 200e anniversaire du Congrès de Vienne et le 70e? anniversaire des Nations Unies, nous devons continuer à trouver des moyens innovants essentiels à notre mission commune qui est de prévenir les conflits meurtriers. ??

Notes

1????Mark Mazower, Governing The World: The History of An Idea (New York, Penguin, 2012), p. 3.

2????Bertrand G. Ramcharan, International 探花精选 Conferences?(Leiden, Netherlands, Martinus Nijhoff, 2015).

3????A.J.R. Groom, ? Conference Diplomacy ?, dans The Oxford Handbook of Modern Diplomacy, Andrew F. Cooper, Jorge Heine et Ramesh Thakur, eds., (Oxford, Oxford University Press, 2013), pp. 266–267.

4????Martha Finnemore et Michelle Jurkovich, ? Getting a Seat at the Table: The Origins of Universal Participation and Modern Multilateral Conferences ?, Global Governance: A Review of Multilateralism and International Organizations,?vol. 20, n° 3 (juillet - septembre 2014), pp. 361-373 (363).

5? ??Ibid., pp. 363–365.?

6????Stephen C. Schlesinger, Act of Creation: The Founding of the United Nations. A Story of Superpowers, Secret Agents, Wartime Allies and Enemies, and Their Quest for a 探花精选ful World (Boulder, Colorado, Westview, 2003), p. 21.

7?? Groom, ? Conference Diplomacy ?, p. 265.

8?? Ramcharan, International 探花精选 Conferences.

9???Michael Stevens and others, ? Latin American Perspectives on 探花精选 and Reconciliation ?, dans International Handbook of 探花精选 and Reconciliation, Kathleen Malley-Morrison, Andrea Mercurio et Gabriel Twose, eds., 探花精选 Psychology Book Series 7 (Springer, New York,?2013), pp. 561–79.

10??Arthur Eyffinger, The 1907 Hague 探花精选 Conference: ? The Conscience of the Civilized World ? (The Hague, JudiCap, 2007), Preface.

11??Mazower, Governing the World: The History of an Idea.

12??New Statesman, ? The Syria peace talks are doomed before they have even begun ?, 22 janvier 2014. Disponible sur le site?.

13??Human? Security? Report? Project,? Human? Security? Report? 2013. Disponible sur le site??, p. 97.

14??Ramcharan, International 探花精选 Conferences.