12 juin 2020 ¡ª 109 milliards de dollars : tel est le montant de la baisse attendue cette ann¨¦e des fonds envoy¨¦s par les migrants dans leur pays d¡¯origine, en raison des pertes de revenus li¨¦es ¨¤ la COVID-19. Face au tarissement de cette ressource financi¨¨re cruciale pour les pays en d¨¦veloppement, les Nations Unies appuient l¡¯appel mondial lanc¨¦ pour pr¨¦server ce filet de s¨¦curit¨¦, r¨¦duire les frais de transfert et faciliter les flux de liquidit¨¦s vers les familles. 

? l¡¯approche de la Journ¨¦e internationale des envois de fonds ¨¤ la famille, le 16 juin prochain, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de l¡¯ONU, Antonio Guterres, a tir¨¦ le signal d¡¯alarme. Selon lui, le recul de ces transferts d¡¯argent est d¡¯autant plus ? gigantesque ? que ? c¡¯est ainsi l¡¯¨¦quivalent de pr¨¨s des trois quarts de toute l¡¯aide publique au d¨¦veloppement qui ne parviendra pas aux 800 millions de personnes qui en d¨¦pendent ?.

Cette situation est provoqu¨¦e par l¡¯arr¨ºt de l¡¯activit¨¦ ¨¦conomique, les mesures de confinement et la fermeture de bureaux de change et de transfert de fonds. Ces trois facteurs, auxquels s¡¯ajoute souvent le manque de liquidit¨¦s des bureaux, rendent difficile, voire impossible, l¡¯envoi de sommes d¡¯argent par les travailleurs migrants.

Pour 2020, la table sur une des remises migratoires vers les pays ¨¤ revenu faible et interm¨¦diaire. Les fonds envoy¨¦s par les travailleurs migrants originaires de ces pays devraient s'¨¦tablir ¨¤ 445 milliards de dollars, contre 554 milliards en 2019, ann¨¦e record en la mati¨¨re. Or ces transferts d¡¯argent repr¨¦sentent jusqu¡¯¨¤ un tiers de l¡¯¨¦conomie des pays pauvres. 

L¡¯impact positif des envois de fonds dans ces pays n¡¯est plus ¨¤ d¨¦montrer : all¨¦gement de la pauvret¨¦, am¨¦lioration de la situation nutritionnelle, hausse des d¨¦penses d¡¯¨¦ducation et diminution du travail des enfants. Leur chute affecte la capacit¨¦ des familles ¨¤ assumer ces d¨¦penses puisqu¡¯une part accrue de leur budget est consacr¨¦e ¨¤ subvenir aux besoins imm¨¦diats du m¨¦nage.

Pr¨¦visions alarmantes pour 2020 et au-del¨¤

Les envois de fonds devraient fortement baisser dans toutes les r¨¦gions, le recul ¨¦tant particuli¨¨rement marqu¨¦ en Europe et en Asie centrale (27,5 %), devant l¡¯Afrique subsaharienne (23,1 %), l¡¯Asie du Sud (22,1 %), le Moyen-Orient et l¡¯Afrique du Nord (19,6 %), l¡¯Am¨¦rique latine et les Cara?bes (19,3 %) et l¡¯Asie de l¡¯Est et le Pacifique (13 %).

L¡¯inqui¨¦³Ù³Ü»å±ð est accentu¨¦e par le fait que les transferts mon¨¦taires vers les pays ¨¤ revenu faible et interm¨¦diaire ont d¨¦pass¨¦ en 2019 les investissements directs ¨¦trangers (IDE), lesquels devraient en 2020-2021, selon les derni¨¨res projections de la . 

Dans ces conditions, la r¨¦cession ¨¦conomique caus¨¦e par la pand¨¦mie de COVID-19 ? rend d¡¯autant plus importante l¡¯acc¨¦l¨¦ration du r¨¦tablissement des ¨¦conomies avanc¨¦es ?, estime David Malpass, Pr¨¦sident de la Banque mondiale. En attendant, il plaide pour le maintien des canaux de circulation des fonds ? pour pr¨¦server l¡¯acc¨¨s des communaut¨¦s les plus d¨¦munies ¨¤ ces biens vitaux ?.

Pour 2021, l¡¯institution financi¨¨re de l¡¯ONU entrevoit un redressement des transferts d¡¯argent, qui pourraient atteindre 470 milliards de dollars, soit une progression de 5,6 %. Elle reconna?t toutefois que l¡¯¨¦volution de ces envois est difficile ¨¤ anticiper, compte tenu des incertitudes li¨¦es ¨¤ la COVID-19. D¡¯ordinaire, en effet, les travailleurs ¨¦migr¨¦s envoient davantage d¡¯argent chez eux pendant les p¨¦riodes de crise. 

? Des mesures rapides pour faciliter l¡¯envoi et la r¨¦ception de cet argent pourraient apporter une aide particuli¨¨rement bienvenue aux migrants et ¨¤ leurs familles ?, assure Dilip Ratha, Chef de l¡¯, programme financ¨¦ par un fonds fiduciaire multidonateur cr¨¦¨¦ par la Banque mondiale. ? Cela implique de consid¨¦rer les services de transfert comme essentiels et de les rendre plus accessibles aux migrants ?.

Des co?ts de transfert toujours ¨¦lev¨¦s

Un homme tient un mobile et regarde une application.

? l¡¯¨¦chelle mondiale, le reste ¨¦lev¨¦, ¨¤ 6,8 % - soit 13,6 dollars - au premier trimestre de 2020, ce qui est ¨¤ peine moins qu¡¯un an auparavant. Les disparit¨¦s sont toutefois importantes entre les r¨¦gions, l¡¯Afrique subsaharienne continuant d¡¯¨ºtre la r¨¦gion la plus ch¨¨re, avec un co?t moyen d¡¯environ 9 %, contre seulement 4,95 % en Asie du Sud.

? titre de comparaison, le tarif moyen pour l¡¯envoi de 200 dollars s¡¯¨¦tablissait ¨¤ 6 % vers l¡¯Am¨¦rique latine et les Cara?bes, 6,5 % vers l¡¯Europe et l¡¯Asie centrale, 7 % vers le Moyen-Orient et l¡¯Afrique du Nord, et 7,1 % vers l¡¯Asie de l¡¯Est et le Pacifique.   

Depuis une dizaine d¡¯ann¨¦es, les principaux pays d¡¯origine des envois de fonds se sont engag¨¦s ¨¤ r¨¦duire ces frais. L¡¯une des cibles de l¡¯Objectif de d¨¦veloppement durable n¡ã10 (In¨¦galit¨¦s r¨¦duites) vise ¨¤ r¨¦duire le co?t d¡¯envoi ¨¤ 3 % en moyenne, soit 6 dollars, d¡¯ici 2030. Dans le m¨ºme temps, elle invite ¨¤ ¨¦liminer les couloirs de transfert de fonds dont les co?ts sont sup¨¦rieurs ¨¤ 5 %.

La Banque mondiale travaille ¨¤ la r¨¦alisation de cette cible en collaborant avec les pays du G20 et la communaut¨¦ internationale en vue de r¨¦duire les co?ts des transferts et d¡¯am¨¦liorer l¡¯inclusion financi¨¨re des populations pauvres. ? cette fin, elle suit en permanence les prix pratiqu¨¦s dans 367 grands couloirs de transfert ¨¤ travers une base de donn¨¦es d¨¦di¨¦e, baptis¨¦e 

De cette observation il ressort que la volatilit¨¦ actuelle des march¨¦s des changes accro?t la difficult¨¦ de fixer les taux de conversion des devises avec assurance, ce qui rench¨¦rit les frais. Ce facteur, auquel s¡¯ajoutent des co?ts d¡¯exploitation plus ¨¦lev¨¦s d¨¦coulant des perturbations op¨¦rationnelles, entra?ne une pression ¨¤ la hausse sur les prix des envois de fonds, explique l¡¯institution onusienne.

Elle consid¨¨re toutefois que les services financiers num¨¦riques, qui facilitent ¨¤ la fois l¡¯envoi et la r¨¦ception des fonds, sont en mesure, gr?ce ¨¤ la technologie, de r¨¦duire la ponction pr¨¦lev¨¦e sur chaque transfert.

Le cas sp¨¦cifique de l¡¯Afrique subsaharienne

Si les sommes envoy¨¦es en Afrique subsaharienne par sa diaspora ont ¨¦t¨¦ en vingt ans, elles devraient refluer de pr¨¨s d¡¯un quart en 2020 du fait de la pand¨¦mie de COVID-19, selon la derni¨¨re de la Banque mondiale sur les migrations et le d¨¦veloppement.

L¡¯institution sp¨¦cialis¨¦e rel¨¨ve cependant qu¡¯il convient de tenir compte des transferts de fonds domestiques, le nombre de personnes se d¨¦pla?ant ¨¤ l'int¨¦rieur des pays africains ¨¦tant bien sup¨¦rieur ¨¤ celui des individus qui franchissent des fronti¨¨res.

L'argent envoy¨¦ par les migrants internes, principalement depuis les zones urbaines vers les r¨¦gions rurales, est ? une source vitale de revenus hors travail pour les m¨¦nages ruraux ?, observe-t-elle. L'arr¨ºt des activit¨¦s ¨¦conomiques dans les villes, cons¨¦cutif ¨¤ l¡¯¨¦pid¨¦mie de coronavirus, devrait donc avoir ? de graves r¨¦percussions sur la capacit¨¦ des migrants internes ¨¤ envoyer des fonds dans les zones rurales ?.

L' estime ¨¤ cet ¨¦gard que les revenus des travailleurs du secteur informel en Afrique ont au cours du premier mois de la crise, ce qui risque d'avoir des cons¨¦quences catastrophiques sur les moyens de subsistance dans les campagnes.

Sur la base d¡¯une sur les envois de fonds internationaux et domestiques au Ghana, au Nig¨¦ria et en Sierra Leone, la Banque mondiale conclut que la proportion de m¨¦nages recevant des transferts de fonds nationaux est ? beaucoup plus ¨¦lev¨¦e ? que la part de ceux qui re?oivent de l'argent de l'¨¦tranger. Elle constate en outre que les m¨¦nages les plus pauvres ne b¨¦n¨¦ficient pas directement des transferts internationaux autant que des transferts nationaux.

Un homme compte des billets de banque.

Dans ce contexte, bien que la plupart de pays de la r¨¦gion aient adopt¨¦ des programmes de ? ?, les envois de fonds des migrants vers les zones rurales fournissent des ressources suppl¨¦mentaires essentielles aux m¨¦nages et contribuent ¨¤ combler les lacunes de la protection sociale.

Alors que les r¨¦ponses ¨¤ la crise se concentrent sur l'aide aux travailleurs du secteur informel dans les zones urbaines, ? il est important de maintenir et d'¨¦tendre le b¨¦n¨¦fice des filets de s¨¦curit¨¦ aux m¨¦nages pauvres des zones rurales, en particulier lorsqu'une partie importante d'entre eux d¨¦pend des remises migratoires ?, souligne la Banque mondiale.

Un appel mondial ¨¤ l¡¯action

A l¡¯initiative de la Suisse et du Royaume-Uni, un a ¨¦t¨¦ lanc¨¦ fin avril afin de ? ?. Soutenu par la Banque mondiale et la KNOMAD, il est ¨¦galement appuy¨¦ par le , l¡¯ et le ainsi des acteurs financiers du secteur priv¨¦.

Pour en souligner l¡¯urgence, les signataires rappellent que 75 % des migrants travaillent dans des pays concentrant les trois quarts des cas signal¨¦s de COVID-19 et que 90 % des remises migratoires sont effectu¨¦es depuis ces zones ¨¤ fort taux d¡¯infection.

L'objectif est de permettre la poursuite, sans obstacles, des envois de fonds dans le monde entier durant la p¨¦riode pand¨¦mique, afin que les familles des migrants puissent continuer ¨¤ recevoir cet apport vital et ¨¦viter de tomber dans la pauvret¨¦.

L¡¯appel vise ¨¤ am¨¦liorer l'acc¨¨s des migrants aux transferts de fonds, notamment en leur fournissant davantage d'options gr?ce ¨¤ la technologie num¨¦rique. Il exhorte les pouvoirs publics ¨¤ soutenir le d¨¦veloppement de ces nouveaux services financiers et les prestataires ¨¤ en faciliter l¡¯utilisation.  Les autorit¨¦s de r¨¦glementation sont quant ¨¤ elle invit¨¦es ¨¤ permettre l¡¯inclusion des personnes sans banque et sans papiers.

Les gouvernements et les banques sont ¨¦galement encourag¨¦s ¨¤ reconna?tre la prestation de transfert de fonds vers l¡¯¨¦tranger comme un service financier essentiel et ¨¤ mettre en place des mesures de soutien ¨¦conomique qui profitent aux migrants et aux prestataires de services d¡¯envoi de fonds. Ces derniers sont par ailleurs appel¨¦s ¨¤ soulager les migrants en r¨¦duisant les co?ts de transaction, en investissant dans l'¨¦ducation et les connaissances financi¨¨res et en facilitant l'acc¨¨s aux canaux de transfert de fonds.

Le 16 juin, les partenaires de cet appel mondial feront le point sur leurs propositions lors d¡¯un organis¨¦ ¨¤ l¡¯occasion de la Journ¨¦e internationale. 

? Dans les pays aux protections sociales limit¨¦es et aux ¨¦conomies moins diversifi¨¦es, ces envois de fonds servent de bou¨¦e de sauvetage, surtout en temps de crise. Les obstacles existants ¨¤ l¡¯envoi et ¨¤ la r¨¦ception d'argent peuvent ainsi conduire ¨¤ une r¨¦elle augmentation de la pauvret¨¦ et de l'ins¨¦curit¨¦ sociale, ce qui d¨¦stabiliserait davantage les ¨¦conomies nationales ?, Asako Okai, Administratrice adjointe du PNUD et directrice de son bureau de crise.

De fait, ajoute-t-elle, ? les transferts de fonds sont essentiels pour la r¨¦ponse et le rel¨¨vement ¨¤ la COVID-19 ?.