22 juin 2020 ¡ª La crise sans pr¨¦c¨¦dent qu¡¯elle traverse depuis le d¨¦but de la pand¨¦mie de COVID-19 oblige l¡¯industrie de la mode et du luxe ¨¤ repenser son fonctionnement de fond en comble. Ce choc ¨¦conomique doit aussi ¨ºtre l¡¯occasion d¡¯agir pour r¨¦duire l¡¯impact n¨¦gatif du secteur sur le plan social et environnemental, plaident les Nations Unies dans l¡¯optique d¡¯un rel¨¨vement plus responsable.

? La question est maintenant de savoir comment nous pouvons reconstruire en mieux ?, r¨¦sume Michael Stanley-Jones, du , ¨¤ la pointe de cette r¨¦flexion en tant que co-secr¨¦taire de l'.

Le constat environnemental est en effet sans appel : l¡¯industrie de la mode est responsable ¨¤ elle seule de 2 % ¨¤ 8 % des ¨¦missions de dioxyde de carbone mondiales, soit plus que ce que g¨¦n¨¨rent les vols internationaux et le transport maritime r¨¦unis, selon les du PNUE. Ces ¨¦missions sont essentiellement li¨¦es ¨¤ la production des mati¨¨res premi¨¨res, ¨¤ la fabrication des textiles et au transport des produits finis.

L¡¯empreinte sur l¡¯eau est tout aussi catastrophique. La estime dans un r¨¦cent qu¡¯environ 93 milliards de m¨¨tres cubes d'eau - assez pour r¨¦pondre aux besoins de cinq millions de personnes - sont utilis¨¦s chaque ann¨¦e par cette industrie. Pour fabriquer un simple jean, il faut 7 500 litres d¡¯eau, c¡¯est-¨¤-dire l¡¯¨¦quivalent de l¡¯eau bue par un humain pendant sept ans.

Le plus gros impact environnemental de la mode est li¨¦ au lavage des v¨ºtements, du fait de l¡¯eau et de l¡¯¨¦nergie utilis¨¦es, mais aussi de la pollution des eaux et des sols qu¡¯il provoque. D¡¯apr¨¨s la CNUCED, 500 000 tonnes de microfibres de plastique, soit l¡¯¨¦quivalent de 3 millions de barils de p¨¦trole, ont ainsi d¨¦vers¨¦s chaque ann¨¦e dans les oc¨¦ans.  De plus, la teinture des textiles est le deuxi¨¨me facteur de pollution de l¡¯eau dans le monde.       

Avec l¡¯essor de la ? mode rapide ? et la multiplication des collections par les enseignes, la dur¨¦e de vie d¡¯un habit a ¨¦t¨¦ r¨¦duite de moiti¨¦ ces 15 derni¨¨res ann¨¦es, selon la soci¨¦t¨¦ de conseil McKinsey. R¨¦sultat : chaque seconde, l¡¯¨¦quivalent d¡¯une benne remplie de v¨ºtements est enfoui ou br?l¨¦, pr¨¦cise le PNUE. Quant au recyclage, 1 % seulement des mat¨¦riaux utilis¨¦s dans la fabrication de v¨ºtements est utilis¨¦ pour en fabriquer de nouveaux, affirme la Fondation Ellen MacArthur.

Un secteur sinistr¨¦ par l¡¯effet COVID-19

Longtemps ¨¤ l¡¯arr¨ºt en raison des restrictions mondiales li¨¦es ¨¤ la COVID-19, l¡¯industrie de la mode tente de repartir. Pour ce secteur qui repr¨¦sente 2 400 milliards d'euros d'activit¨¦ et qui emploie environ 75 millions de personnes dans le monde, il s¡¯agit de surmonter un choc plus s¨¦v¨¨re que la crise financi¨¨re de 2008. 

Avec le d¨¦confinement, les grandes enseignes de ? mode rapide ? rouvrent progressivement leurs points de vente mais accusent des pertes record. Certaines cha?nes de grands magasins n¡¯ont, elles, pas r¨¦sist¨¦ ¨¤ la crise, ¨¤ l¡¯image des g¨¦ants am¨¦ricains J.C. Penney, Neiman Marcus et J. Crew. 

Une r¨¦cente enqu¨ºte du cabinet d¡¯¨¦tudes de march¨¦ Euromonitor International ¨¦value ¨¤ au moins 12 % la chute attendue cette ann¨¦e des ventes mondiales d¡¯habillement et de chaussures. Et ce, malgr¨¦ la mont¨¦e en fl¨¨ches des achats en ligne pendant la p¨¦riode de confinement. En outre, les acteurs du secteur craignent un d¨¦clin de la consommation de produits de mode due ¨¤ la perte de revenus des m¨¦nages.     

La COVID-19 a aussi perturb¨¦ la cha?ne d'approvisionnement mondiale, avec de graves effets sur l¡¯emploi. Plusieurs groupes d¡¯habillement ont annul¨¦ des commandes chez leurs fournisseurs asiatiques, entra?nant des fermetures d¡¯usines et des licenciements. Selon l¡¯, pas moins de 2,1 millions de travailleurs en subissent les cons¨¦quences au . Sur ce total, 72,4 % ont ¨¦t¨¦ renvoy¨¦s chez eux sans ¨ºtre pay¨¦s durant les premiers mois de la crise sanitaire. 

Des jeunes femmes dans une magasin de grande distribution regardent les vetements.

Face ¨¤ un tel bouleversement, les entreprises du secteur se r¨¦organisent. Les marques acc¨¦l¨¨rent leur d¨¦veloppement num¨¦rique pour ¨¦couler leurs stocks et attirer de nouveaux clients. A cette m¨ºme fin, elles investissent dans des strat¨¦gies d¡¯influence tourn¨¦es vers les m¨¦dias sociaux plut?t que dans de co?teuses op¨¦rations de communication. Beaucoup optent aussi pour des d¨¦fil¨¦s virtuels, plus ¨¦conomiques mais aussi plus vertueux sur le plan environnemental.   

Dans un appel commun, fin mai, deux associations professionnelles anglo-saxonnes, le British Fashion Council (BFC) et le Council of Fashion Designers of America (CFDA), se sont prononc¨¦es pour une restriction de la production, une limitation du nombre de ? fashion weeks ? annuelles et un recentrage sur les besoins r¨¦els du consommateur. Fait nouveau, elles ont ¨¦galement invit¨¦ les acteurs de la mode ¨¤ r¨¦duire leur impact sur l¡¯environnement.

Aligner la mode sur les Objectifs de d¨¦veloppement durable

Ces recommandations recoupent en partie celles de l¡¯Alliance des Nations Unies pour une mode durable, initiative lanc¨¦e en 2019 par huit entit¨¦s onusiennes, dont le PNUE, l¡¯OIT, la , le et le . Leur engagement commun : promouvoir des projets et des politiques qui garantissent que le secteur de la mode contribue ¨¤ la r¨¦alisation des objectifs de d¨¦veloppement durable (ODD).

L¡¯action de l¡¯Alliance s¡¯¨¦tend de la production de mati¨¨res premi¨¨res et de la fabrication de v¨ºtements, d¡¯accessoires et de chaussures ¨¤ leur distribution, leur consommation et leur ¨¦limination. Son objectif de durabilit¨¦ englobe les questions environnementales mais aussi sociales.

Gr?ce ¨¤ ses contacts avec le secteur priv¨¦ ainsi qu'avec les gouvernements, l'Alliance aide les marques ¨¤ am¨¦liorer les conditions de travail et la r¨¦mun¨¦ration des travailleurs, en particulier les femmes.  Elle les pousse aussi ¨¤ r¨¦duire leur flux de d¨¦chets, leur pollution de l'eau et leurs ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre.

Pour ses membres, la remise en question suscit¨¦e par la COVID-19 doit ¨ºtre mise ¨¤ profit pour progresser vers la neutralit¨¦ carbone et faire de la mode un moteur des ODD.  ? Nous devons cartographier la cha?ne de valeur et identifier les opportunit¨¦s permettant de limiter les impacts environnementaux et sociaux n¨¦gatifs de l'industrie de la mode, tout en renfor?ant la responsabilit¨¦ et la transparence ?, explique son co-secr¨¦taire, Michael Stanley-Jones.  

D¡¯ores et d¨¦j¨¤, des tendances prometteuses se dessinent. Certaines entreprises s¡¯engagent ¨¤ n¡¯utiliser que du coton biologique ou produit de mani¨¨re durable, ¨¤ passer ¨¤ des sources d¡¯¨¦nergie renouvelables et ¨¤ recycler et r¨¦utiliser davantage, voire ¨¤ mettre en place des syst¨¨mes de collecte ou d¡¯¨¦conomie circulaire. De surcro?t, les consommateurs sont de plus en plus souvent incit¨¦s ¨¤ acheter en moins grande quantit¨¦ et ¨¤ privil¨¦gier des articles ayant une plus grande dur¨¦e de vie.

Ces tendances prennent la forme d¡¯accords internationaux et de strat¨¦gies d'entreprise responsables. Un an apr¨¨s la signature de la , par laquelle 90 marques promettaient de diminuer de 30 % leurs ¨¦missions de gaz ¨¤ effet de serre d'ici 2030, 32 compagnies repr¨¦sentant 150 marques ont ratifi¨¦ en ao?t 2019 le , qui comprend des engagements en faveur du climat, de la biodiversit¨¦ et des oc¨¦ans.

Montrer l¡¯exemple

Des employ¨¦s travaillent sur des machines a coudre dans une usine au Bangladesh sous l'oeil de leur cheffe.

Acc¨¦l¨¦r¨¦e par la COVID-19, cette prise de conscience est partag¨¦e par un nombre croissant d¡¯acteurs de la mode, des industriels aux cr¨¦ateurs. La conceptrice somalienne , qui a travaill¨¦ pour plus de 55 entreprises de mode rapide, dont le d¨¦taillant Forever 21, a ainsi d¨¦cid¨¦ de renoncer aux produits chimiques et aux mat¨¦riaux synth¨¦tiques pour ses collections.  

Longtemps consid¨¦r¨¦e comme la ? reine de la teinture ?, elle utilise d¨¦sormais des textiles africains traditionnels tiss¨¦s ¨¤ partir de chanvre, de bambou et m¨ºme d'¨¦corce d'arbre. Ses colorants sont naturels, extraits des racines, comme le curcuma. Autant de changements qui la placent aujourd¡¯hui ¨¤ l'avant-garde du mouvement de la mode durable.

? Je me suis rendu compte que mon travail me faisait du mal et endommageait la plan¨¨te. Depuis, la durabilit¨¦ est devenue ma vie et ma mission ?, explique-t-elle depuis son lieu de confinement ¨¤ Nairobi, au Kenya. ? ses yeux, promouvoir une mode durable ? signifie utiliser ce que l¡¯on a, payer des salaires ¨¦quitables et trouver des moyens d¡¯¨ºtre plus intelligents dans la fa?on dont nous concevons et fabriquons ?.

La durabilit¨¦ est ¨¦galement au c?ur du projet de , qui a lanc¨¦ en 2018 Remake Hub, une entreprise chinoise utilisant du plastique recycl¨¦ pour fabriquer des v¨ºtements et des biens de consommation. Apr¨¨s avoir grandi en voyant les usines de confection de ses parents polluer une rivi¨¨re locale, elle s¡¯est ¨¦loign¨¦e de ce mod¨¨le pour ? faire quelque chose de durable mais aussi de cr¨¦atif ?.

Son entreprise produit aujourd¡¯hui toutes sortes de produits recycl¨¦s, des lunettes aux v¨ºtements en passant par l'ameublement. Elle a m¨ºme r¨¦ussi ¨¤ convertir ses parents ¨¤ certaines de ses technologies innovantes. ? Ils ont d¡¯abord cru que je ne faisais que ramasser des ordures. Maintenant, ils consid¨¨rent ce que je fais comme une solution plut?t que comme une pollution ?.

En tant qu'ambassadrice du mouvement , la musicienne londonienne Elle L encourage ce genre de d¨¦marche vertueuse au sein de l'industrie britannique de la mode. Selon elle, les ?tats devraient s¡¯inspirer de l¡¯exemple de la France, qui a adopt¨¦ fin janvier une loi anti-gaspillage obligeant les entreprises de v¨ºtements ¨¤ respecter plus d¡¯une centaine de dispositions en mati¨¨re de durabilit¨¦, y compris l¡¯interdiction de destruction des invendus.

? Nous sommes ¨¤ l'aube d'un ¨¦veil massif des consciences et d'un mouvement de sensibilisation au pouvoir des achats ?, analyse l¡¯artiste. ? La mode se situe au carrefour de l'artistique et de l'utile, elle a le pouvoir et la responsabilit¨¦ de cr¨¦er une solution int¨¦ressante ? pour l¡¯apr¨¨s-COVID-19, assure-t-elle.

M¨ºme son de cloche ¨¤ Lagos, au Nig¨¦ria, o¨´ , cr¨¦atrice de la marque Nkwo, recycle les v¨ºtements d¡¯occasion qui envahissent les march¨¦s de sa ville. A partir de montagnes de jeans usag¨¦s import¨¦s d¡¯outre-mer, elle tisse des pi¨¨ces originales en recourant ¨¤ la technologie et aux techniques traditionnelles comme le perlage ¨¤ la main.

? La COVID-19 est l¡¯occasion d¡¯une reconceptualisation et d¡¯un changement de mentalit¨¦ des cr¨¦ateurs comme des consommateurs ?, avance cette figure montante de la mode durable. ? Cela veut dire penser plus petit, ne pas produire une collection de 60 pi¨¨ces, mais plut?t de 16 articles ¨¤ la fois beaux et portables, fabriqu¨¦s avec moins de d¨¦chets et par des travailleurs trait¨¦s ¨¦quitablement ?.